Un malade bien seul
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Avec André Marcon qui reprend le dernier rôle tenu par Molière lui-même, on pouvait attendre un « Malade imaginaire » de haute volée. La mise en scène de Michel Didym, hélas, ne tient pas toutes ses promesses et pâtit d’un manque de cohérence.
Bourgeois taciturne et grognon, Argan, qui se croit atteint de mille maux, souffre d’abord et surtout d’hypocondrie. Pour mettre son corps à l’abri de toute attaque, il décide de marier sa fille Angélique à un jeune médecin dont on lui a vanté les mérites. Malheureusement, Angélique aime en secret Cléante, et Thomas Diafoirus est un âne prétentieux. Pour contrecarrer les plans d’Argan, la servante au grand cœur, Toinette, se range du côté des deux amoureux. Notre hypocondriaque ne trouve donc qu’un hypocrite soutien auprès de sa seconde épouse Béline, qui a déjà survécu à plusieurs maris qu’elle a plumés et qui ne serait pas mécontente de se débarrasser d’une héritière gênante.
On retrouve dans ce Malade tous les thèmes chers à Molière : la charge contre des médecins présentés comme des profiteurs de la crédulité humaine, la défense des amours des jeunes gens et la sympathie pour ces serviteurs dévoués à leurs maîtres et souvent bien plus sages qu’eux !
Le metteur en scène Michel Didym n’est pas un habitué des œuvres classiques, et c’était pour lui une grande première. Il a donc entouré son Argan d’acteurs de haute volée, comme Norah Krief par exemple dans le rôle de Toinette. Et surtout, il a respecté à la lettre près les indications de Molière en refusant tout anachronisme (en matière d’accessoires, de costumes ou de décor), en situant cette comédie bourgeoise dans son écrin originel, un salon au parquet quadrillé, et en conservant tous les intermèdes musicaux signés Lully qu’avait imposés Louis XIV à son auteur.
Entre noirceur et guignolade
André Marcon donne de l’épaisseur à son personnage. D’un côté, il ne supporte guère d’être contredit et son autoritarisme ainsi que son entêtement ressurgissent sans difficulté. Mais, de l’autre, il se montre faible et se laisse facilement duper, en particulier par sa femme et sa fille cadette Louison. Ces oppositions sont une constante de son caractère et ses embarras intestinaux sont pratiquement les seuls ingrédients qui le tirent du côté de la farce.
Il n’en est pas de même pour les autres personnages qui frisent la caricature. Que ce soit Toinette qui gomme son aspect maternel et bienveillant pour renforcer la gouaillerie insolente, ou Angélique qui passe sans transition de la niaiserie absolue à l’esprit aiguisé, ou Béline dont la dissimulation est si évidente qu’il faut être Argan pour s’y laisser prendre… Ils grimacent et surjouent, criaillant dès qu’ils ont une réplique à lancer, comme si les ressorts du rire (effectivement présent dans le Malade) ne se trouvaient que dans l’excès.
De même pour les intermèdes musicaux : ici, ils donnent lieu à une mascarade de type Halloween, là une sérénade dont la mélodie est effacée au profit du ridicule. Or, ce n’est pas un hasard si, le plus souvent, ces ballets disparaissent des mises en scène du Malade. Ils sont en effet plus appropriés à une comédie comme le Bourgeois qu’à une pièce aussi noire.
Pour finir, ce qui manque, c’est une cohérence dans la direction d’acteurs : chacun fait son numéro, joue sa partition, la pièce y perd peu à peu de sa force, même si elle y gagne en noirceur. ¶
Trina Mounier
le Malade imaginaire, de Molière
Mise en scène : Michel Didym
Avec : André Marcon, Norah Krief (en alternance avec Agnès Sourdillon), Jeanne Lepers, Catherine Matisse, Bruno Ricci, Jean‑Marie Frin, Barthélémy Meridjen, Jean‑Claude Durand, et en alternance Katalina-Jehanne Villeroy de Galhau ou May‑Lee Barle ou Lilia Chantre
Musique : Philippe Thibault
Scénographie : Jacques Gabel
Lumière : Joël Hourbeigt
Costumes : Anne Autran
Assistante à la mise en scène : Anne-Marion Gallois
Chorégraphie : Jean-Charles Di Zazzo
Maquillage et perruque : Catherine Saint Sever
Régie générale : Pascal Flamme
Enregistrement et mixage musique : Bastien Varigault, avec le Quatuor Stanislas (Laurent Causse, Jean de Spengler, Bertrand Menut, Marie Triplet)
Modiste : Catherine Somers
Couturières : Liliane Alfrano, Anne Yamola
Régie générale : Sébastien Rébois
Régie lumière : Gillian Duda
Régie son : Dominique Petit
Régie plateau : Jérémy Ferry
Habilleuse : Éleonore Daniaud
Maquilleuse, coiffeuse : Noï Karunayadhaj
Photos du spectacle : © Éric Didym
Coproduction Théâtre de la Manufacture-C.D.N. Nancy-Lorraine, Théâtre national de Strasbourg, les Célestins-Lyon, Théâtre de Liège
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre national
Les Célestins • 8, place Charles-Dullin • 69002 Lyon
Réservations : 04 72 77 40 00
Du 31 mars au 10 avril 2015 à 20 heures sauf le dimanche à 16 heures, relâche le lundi
Durée : 2 heures
Tarif : de 9 € à 35 €