« le Neveu de Rameau », de Diderot, Théâtre le Ranelagh à Paris

le Neveu de Rameau © Chantal Palazon

La sublime pantomime du gueux Nicolas Vaude

Par Ingrid Gasparini
Les Trois Coups

On ne pouvait rêver plus bel écrin que le Ranelagh pour l’adaptation du « Neveu de Rameau », ce formidable dialogue satirique où Diderot interroge sa part d’ombre. Entre deux airs de clavecin, l’interprétation nerveuse et magistrale de Nicolas Vaude ressuscite le parasite génial du Palais-Royal. Un régal.

Les parois en chêne sculpté du théâtre nous plongent dans un autre temps. Sur le plateau, un clavecin rouge bâille entre deux jeux d’échecs et des fauteuils Louis XV alanguis. Ne manquent plus que les volutes de fumée, et on pourrait se croire au café de la Régence à cette heure où les fainéants poussent le bois en attendant que la pluie passe. L’atmosphère est posée, le bras de fer peut alors commencer.

Le face-à-face s’annonce musclé. D’un côté : Diderot, le père de l’Encyclopédie, le philosophe tout emprunt de la vision progressiste et rationaliste des Lumières qui réhabilite les notions de mérite et de morale. De l’autre, le Neveu de Rameau, l’histrion excité et cynique qui bouscule les idées reçues à coup d’aphorismes clinquants. Un dialogue entre Lui et Moi, où se développe une parole libre et matérialiste, la parole décomplexée de ce vagabond céleste du xviiie siècle qui entre en totale résonance avec les excès et l’individualisme de notre époque.

Nicolas Vaude, en Rameau, fait des étincelles

Dans son costume écru impeccable et avec ses faux airs de Robert De Niro hexagonal, Gabriel Le Doze joue Diderot. Sa gestuelle est précise et ancrée, mais sa voix timbrée oscille en permanence entre force tranquille et coup de sang. Un parti pris parfois étonnant où le philosophe revêt un caractère inégal là où on l’aurait volontiers imaginé bienveillant et curieux. Dans ce savoureux duel, Nicolas Vaude en Rameau fait des étincelles. Apparaissant au balcon, tout de guenilles vêtu et armé d’un bâton fauché à Diogène pour mieux asséner ses maximes, il transperce le Ranelagh de sa sublime inconstance. Tour à tour primesautier, médiocre, éclatant et naïf, il se consume devant nous dans une jovialité fiévreuse avant de disparaître sur un triste éclat de rire.

Au clavecin, Olivier Baumont ponctue cette heureuse adaptation à coups de parenthèses musicales impromptues. Ces ruptures installent une certaine distance avec ce qui se joue et nous emmènent dans d’autres lieux. On se surprend à vagabonder mentalement, à décrocher nos yeux du plateau, à explorer les plafonniers et les ornements boisés du théâtre plongé dans la pénombre. Puis la magie opère, l’ancien salon de musique reprend vie sous nos yeux. Et, plus tard, en parcourant le programme, on découvre que le Théâtre le Ranelagh a été construit à l’emplacement quasi exact du théâtre du fermier général Alexandre Joseph de la Pouplinière, grand mécène qui apporta son soutien inconditionnel au compositeur Jean‑Philippe Rameau.

L’histoire du lieu est donc indirectement lié à l’histoire du compositeur et oncle du vaurien magnifique imaginé par Diderot. Le spectacle subjugue autant par ces correspondances invisibles que par la sobriété de la mise en scène et l’atmosphère captivante qui s’y installe. On prend ses distances avec le texte, et au-delà des considérations sur le bien et le mal, et bien même au-delà de cette fabuleuse pantomime du gueux d’un Rameau en mal de reconnaissance, on a une impression étrange et familière à la fois. L’impression d’avoir fait un petit aller-retour au siècle des Lumières, un jour de pluie, à deux pas du Palais-Royal. On y jouait Rameau. 

Ingrid Gasparini


le Neveu de Rameau, de Diderot

Mise en scène : Jean‑Pierre Rumeau

Adaptation : Nicolas Vaude, Nicolas Marié, Olivier Baumont

Avec : Nicolas Vaude, Gabriel Le Doze, Olivier Baumont (clavecin)

Costumes : Pascale Bordet, puis Brigitte Elbar

Lumières : Éric Blévin

Photo : © Chantal Palazon

Théâtre le Ranelagh • 5, rue des Vignes • 75016 Paris

http://www.theatre-ranelagh.com

Réservations : 01 42 88 64 44

Jusqu’au 6 mars 2011 (relâche exceptionnelle le 4 mars 2011), à 21 heures du mercredi au samedi, à 17 heures le dimanche

Prolongations du 9 mars au 27 mars 2011, à 19 heures du mercredi au samedi, à 15 heures le dimanche, relâche exceptionnelle le jeudi 17 mars 2011

10 € | 28 € | 32 €

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