« le Père Tralalère », de D’ores et déjà, l’Idéal à Tourcoing

le Père Tralalère © Marine Fromanger

Familles, je vous haime

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

Les repas de famille, en général, c’est lourd, statique, et ça n’en finit pas. Mais les repas de famille selon la compagnie D’ores et déjà, c’est plutôt les Atrides attablés pour leur dernier repas : de l’ennui poli au psychodrame sanglant, en passant par la mise à mort symbolique du despote paternel. La vie quotidienne est une tragédie grecque, assaisonnée d’humour noir.

La compagnie D’ores et déjà est née en 2002 de la rencontre entre plusieurs comédiens, autour d’une envie commune de recherche théâtrale. Cette année, au Festival d’automne, ils ont présenté en diptyque Notre terreur et le Père Tralalère, deux spectacles fondés sur un même principe de la création collective : une improvisation réfléchie, dirigée par un maître de jeu, Sylvain Creuzevault. À l’entrée dans la salle de l’Idéal, les hôtesses nous tendent donc un programme amputé de sa présentation : choix de l’équipe artistique, dans leur volonté de présenter au spectateur une œuvre chaque soir nouvelle.

Le Père Tralalère est un titre qui évoque le vieux souvenir d’une comptine d’enfant, à l’époque où défier l’autorité paternelle était encore un jeu. Sur scène, les enfants ont grandi, le jeu vire au massacre. À l’occasion du repas de mariage de Lise, sa fille, et de Léo, organisé de A à Z par le patriarche, les protagonistes du drame sont tous réunis. Il y a là le petit frère, les meilleurs amis du couple, le voisin de toujours, et même l’assistant lèche-bottes du père. Au fil du spectacle, d’autres réceptions se succéderont, des révélations éclateront, la cellule familiale en apparence inébranlable se fendillera jusqu’à l’explosion.

Tout se passe dans une scénographie au ras du sol : au premier plan, la table de réception ; au second plan, une plate-forme faite de claies de bois, qui remplira toutes les fonctions dramaturgiques du « hors scène ». Hormis l’envers de ce non-espace, rien n’est caché. Les pendrillons ont disparu, laissant à nu le plateau, comme le dispositif technique du théâtre. À partir de l’arrivée des comédiens, cette installation brute ôte au spectacle tout le réalisme apporté par le jeu.

Cet effet de réel, sans arrêt contrebalancé par l’étrangeté du lieu, tient en grande partie à la virtuosité de l’improvisation défendue par le collectif. Les poncifs et les petites rivalités sont reines, comme dans la vie… Autour de cette tablée qui pourrait figurer toutes les familles occidentales du monde, les conversations s’entremêlent, et c’est souvent dans celle qu’on entend le moins que se noue l’intrigue. Dans le texte, il y a bien sûr des balises intangibles, des points par lesquels les comédiens sont forcés de passer, et qu’ils ont déterminés ensemble. Leur liberté créatrice n’en est que plus spectaculaire. Aussi à l’aise dans les hilarants lieux communs (comme ce « flash info » – actualisé tous les soirs – d’un personnage confondant de suffisance) et la banalité la plus concrète que dans les coups d’éclat du père et de ses enfants, les acteurs du Père Tralalère nous reflètent une vérité saisissante pour mieux basculer, au fil de l’intrigue, dans un tout aussi jouissif surréalisme gore.

La dernière image est digne d’un Roi Lear qui se serait acoquiné avec Titus Andronicus. Terrassé par le « crabe », le cancer qui lui dévore les entrailles, autant que par l’abandon de sa fille bien-aimée, le père, coiffé d’une dérisoire couronne en carton, vomit sa rage et sa peur de mourir… lentement emprisonné dans un décor qui, après avoir été prodigue de nourriture, se fait carnassier à son tour. Les autres comédiens deviennent alors officiants du sacrifice, mise en abyme où la vengeance des enfants contre leur père s’accomplit dans une grandiloquence silencieuse.

Même si le Père Tralalère pèche parfois par excès d’emphase, on ne peut que saluer l’aplomb et l’énergie de ce jeune collectif, l’intelligence de son regard sur le réel et son cran, tellement apprécié du public, à en découdre avec les mythes en usant du langage des hommes. Parlez-en autour de vous, D’ores et déjà est dorénavant inévitable. 

Sarah Elghazi


le Père Tralalère, une création collective de la compagnie D’ores et déjà

Mise en scène : Sylvain Creuzevault

Avec : Samuel Achache, Benoît Carré, Antoine Cegarra, Éric Charon, Caroline Darchen, Pierre Devérines, Lionel Gonzalez, Léo‑Antonin Lutinier, Lise Maussion

Musique : David Georgelin

Scénographie : Julie Kravtsova

Costumes : Pauline Kieffer

Lumière : Vyara Stefanova

Photo : © Marine Fromanger

Production : Cie D’ores et déjà, coréalisation Théâtre‑Studio d’Alfortville, avec la participation artistique du Jeune Théâtre national

Théâtre du Nord (salle de l’Idéal) • 19, rue des Champs • 59200 Tourcoing

Réservations : 03 20 14 24 24

www.theatredunord.fr

Du 5 au 15 novembre 2009 à 20 h 30, sauf les dimanches à 16 heures

Durée : 1 h 40

23 € | 20 € | 16 € | 10 € | 7 €

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