« Le Silence des communistes », d’après Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin, Théâtre du Nord à Tourcoing

« le Silence des communistes » © Guy Focant

Trop humble silence

Par Sarah Elghazi
Les Trois Coups

« Le Silence des communistes » regroupe sept lettres que se sont adressées en 2002 trois anciens militants du P.C.I. (Parti communiste italien), Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin. Cette correspondance, initiée par Vittorio Foa, est née de la désillusion, voire de la honte silencieuse qui a suivi, dans les milieux gauchistes en Italie, la transformation en 1991 de ce parti historique en Parti démocratique de la gauche, et la disparition symbolique des utopies qui en a découlé.

Ces trois figures de la gauche italienne, engagés de la première heure, aujourd’hui âgés, entament alors un débat, d’abord hésitant, parti de cette seule question de Vittorio Foa : « Pour vous, que peut être cet actuel silence des communistes ? ». La lettre et ses réponses, d’abord celle de Miriam, puis celle d’Alfredo, introduisent les comédiens, qui vont déambuler sur un plateau dont le décor imite une réunion politique désertée en coup de vent. Les gobelets sont renversés, les chaises en pagaille, un tissu rouge sans doute destiné à coudre un drapeau gît sur une table, prêt à tomber sur le sol… Quant aux drapeaux achevés et à tout le « matériel militant », ils sont abandonnés à l’entrée de la salle, peu discernables par le public.

Tout l’esprit de la correspondance est conservé. Les lettres nous parviennent sans retouches, non réadaptées pour le théâtre. Le texte n’est pas à proprement parler mis en scène… Dans le dossier de presse, Jean‑Pierre Vincent explique qu’il ne pouvait faire autre chose qu’une « mise en espace » pour ce texte, parce que « seule la pensée est séduisante. […] Pour laisser agir cette pensée sur les spectateurs, les acteurs lisent les lettres. Une place prépondérante est faite au silence. ».

C’est effectivement dans une solitude et un recueillement extrêmes que s’échangent ces lettres, auxquelles les réponses sont toujours apportées a posteriori. Représenté, plus qu’incarné, par des comédiens entre deux âges, le propos se situe à mi-chemin entre enthousiasme et désenchantement. Alfredo, Vittorio et Miriam cherchent à prouver (ou à se prouver ?) que, malgré leur retrait de la scène politique, ils tentent encore de réagir devant la perte irréparable, historique, des idéologies socialistes collectives. Tour à tour, ils se condamnent ou se disculpent sur des thèmes et des évènements fondateurs : la foi en l’U.R.S.S., le peuple privé d’armes intellectuelles, la montée de l’individualisme. Face à la déliquescence du tissu social, nos trois personnages, réunis dans le lieu disparu de leur combat, tentent de faire revivre les idéologies du progrès, dont ils furent acteurs et témoins.

Le communisme, pour ces individus qui y ont cru avec une force et de bonnes intentions indiscutables, apparaît à travers ces lettres non seulement comme un échec mondial, mais aussi comme un échec intime constitutif de leur identité, que ne parvient pas à faire entrevoir la « mise en espace » trop en retrait et à l’objectif incertain de Jean‑Pierre Vincent. Cependant, une partie du public écoute, attentif, concerné. Un public d’un certain âge, sans doute aussi nostalgique, peut-être aussi intimement engagé que nos trois Italiens, et auquel est sans aucun doute adressé ce spectacle aride. Malgré la richesse de cette parole, demeure l’impression d’être passé à côté d’un moment fort, d’un texte exigeant et souvent clairvoyant, que les jeunes générations n’entendront pas, n’auront pas envie d’entendre : y manquent la fluidité, une volonté pédagogique, un vrai débat, une prise à partie réelle des spectateurs.

Ce silence n’est donc qu’illusoirement rompu. Il n’y a pas de réelle mise en danger dans le spectacle, contrairement à la prise de risque que représente pour Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin l’écriture de ces lettres. Ils ont le courage d’affronter leurs idées, leurs certitudes passées, leur responsabilité dans la débâcle. Et ils appellent plusieurs fois à une nouvelle révolution, voulue par tous et nourrie des erreurs de celle qu’ils ont cru vivre.

Pourtant, la dernière lettre achevée (d’ailleurs sur une note d’espoir), les idées s’éveillent, et le débat semble reprendre ses droits : dans un joyeux brouhaha, enfin vivant, la mise en scène réunit pour la première fois les trois comédiens. Moment trop bref, interrompu par le noir. On entrevoit alors ce qu’aurait pu être ce spectacle, au contenu douloureux et exaltant, d’une actualité évidente, mais à la forme creuse, vide, trop statique pour atteindre la dimension universelle recherchée. 

Sarah Elghazi


Le Silence des communistes, daprès Vittorio Foa, Miriam Mafai et Alfredo Reichlin

Créé au Festival d’Avignon 2007

Traduction et mise en espace : Jean-Pierre Vincent, d’après la version scénique de Luca Ronconi, Turin 2006

Assistante à la mise en scène : Marine Haulot

Avec : Patrizia Berti, Christian Crahay, François Sikivie

Dramaturgie : Bernard Chartreux

Lumière : Patrick Ortéga

Son : Matthew Higuet

Photo : © Guy Focant

Une production du Théâtre de Namur, Belgique

Théâtre du Nord Lille-Tourcoing • 19, rue des Champs • 59200 Tourcoing

Réservation au 03 20 17 93 30 (les soirs de représentation) ou au 03 20 14 24 24

Du 10 au 19 décembre 2008 à 20 h 30, dimanche à 16 heures, relâche les lundi et mardi

Durée : 1 h 30

23 € | 20 € | 16 € | 10 € | 7 €

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