« l’Enlèvement au sérail », de Wolfgang Amadeus Mozart, Opéra de Lyon

Mouawad évite la caricature

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Commande faite par Serge Dorny, directeur de l’Opéra de Lyon, à Wajdi Mouawad, metteur en scène libano-canadien, « l’Enlèvement au sérail », œuvre rarement présentée du jeune Mozart, est de nouveau à l’affiche, trente‑quatre ans après la production en 1982 dirigée par Claire Gibault et Georges Lavaudant.

Augmenté d’un prologue et avec des dialogues réécrits par Mouawad, le Singspiel * mozartien de 1782 fait peau neuve en évitant une actualisation excessive. Le livret tient en peu de mots. Constance, une aristocrate, et Blonde, sa servante, sont retenues captives dans le sérail du pacha Selim ainsi que Pedrillo, serviteur de Belmonte, l’amant de Constance. Ce dernier réussit à s’introduire dans le palais de Selim et tente d’organiser l’évasion des deux prisonnières avec la complicité de son valet. La tentative échoue et les quatre jeunes gens sont condamnés à mort. Mais coup de théâtre quand le pacha décide de libérer les deux couples. Happy end ! Tous chantent la grandeur, la noblesse et la bonté de Selim.

Soucieux d’échapper à toute islamophobie, le metteur en scène choisit de lui régler son compte en ouvrant l’opéra par un prologue. Une fête est donnée par le père de Belmonte pour saluer le retour des captifs. Ingénieuse situation qui lui permet d’exprimer l’allégresse des retrouvailles et, en même temps, de dénoncer les dérives d’une société européenne encline au racisme religieux et culturel. Intelligente invention qui l’autorise à raconter en flash‑back les aventures des ex‑prisonniers du gouverneur ottoman. C’est donc à une lecture objective, débarrassée de toute fièvre partisane, que Wadji Mouawad convie ses spectateurs. Pas de turquerie moliéresque, pas de comédie grossière ni de périlleux débat moralisateur, mais un point de vue équilibré sur le monde musulman et chrétien. Le spectacle rend hommage aux philosophies des Lumières imprégnant chacune des civilisations. Cet Enlèvement au sérail évite la caricature et s’honore d’une filiation avec la pensée d’un Montesquieu ou d’un Voltaire.

Bien que dotée de moyens importants, cette production parvient à donner l’image d’une réalisation sobre. Lignes simples et épurées de la scénographie, modestie des costumes, primarité des couleurs confèrent à l’ensemble une atmosphère propice à l’empathie et à la réflexion. Mais ce qui s’impose surtout, c’est le point de vue de la lecture développée par la dramaturgie de Mouawad. Priorité est donnée aux deux personnages féminins de Constance et Blonde. La confrontation du statut de la femme dans les cultures orientale et occidentale constitue l’axe principal des tensions de l’œuvre. Carcan de la virginité et de la fidélité, soumission sociale et sexuelle à l’homme, enfermement symétrique dans le huis clos aristocratique ou dans le harem, impossible liberté.

De plus, et c’est l’idée la plus intéressante, la mise en scène décrit avec subtilité le véritable « syndrome de Stockholm » qui s’empare des deux héroïnes. L’opéra devient le lieu où s’exprime la sympathie qui s’installe entre bourreaux et victimes. La complexité des rapports amoureux et la relation à la mort des otages et de leurs ravisseurs y gagnent en profondeur et renvoient finement aux angoisses et questionnements du monde d’aujourd’hui. Pas de cagoules, pas de kalachnikovs ni de ceintures d’explosifs. Insidieusement, le vécu des protagonistes révèle d’humaines et émouvantes contradictions.

Wadji Mouawad transcende l’argument originel et donne au public la liberté de construire son opinion. Sous l’éblouissante et rigoureuse direction musicale de Stefano Montanari, avec une distribution généreuse et solide que dominent Jane Archibald (Constance), magnifique de concentration et de virtuosité, et Joanna Wydorska (Blonde), superbe d’inventivité dramatique et d’expressivité vocale, cet Enlèvement au sérail régale d’émotions justes en se tenant à distance d’une quelconque démagogie. Sur le plan vocal, les arias du deuxième acte chantées par Blonde (« Welche Wonne, welche Lust ») et par Constance « Martern aller Arten » sont des instants bouleversants. 

Michel Dieuaide

* Le Singspiel (au pluriel, en allemand, Singspiele) est une œuvre théâtrale jouée et chantée en allemand, proche de l’opéra-comique français. Il se caractérise par l’alternance de dialogues parlés, parfois accompagnés de musique, et d’airs chantés, souvent de coloration populaire.


l’Enlèvement au sérail, Singspiel en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart

Livret de Johann Gottlieb Stephanie d’après une pièce de Bretzner

Dialogues réécrits par Wajdi Mouawad

Traduction des dialogues : Uli Menke

Mise en scène : Wajdi Mouawad

Direction musicale : Stefano Montanari

Avec : Jane Archibald (Constance), Joanna Wydorska (Blonde), Cyrille Dubois (Belmonte), Michael Laurenz (Pedrillo), David Steffens (Osmin), Peter Lohmeyer (Selim)

Décors : Emmanuel Clolus

Costumes : Emmanuelle Thomas

Lumières : Éric Champoux

Dramaturgie : Charlotte Farcet

Chef des chœurs : Stephan Zilias

Orchestre et chœurs de l’Opéra de Lyon

Assistant à la direction musicale : Stephan Zilias

Assistante à la mise en scène : Valérie Nègre

Chefs de chant : Graham Lilly, Futaba Oki

Régisseurs : Charlotte Goupille‑Lebret, Georges Vachey

Les équipes techniques de l’Opéra de Lyon

Production : Opéra de Lyon

Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon

www.opera-lyon.com

Courriel : contact@opera-lyon.com

Tél. 04 69 85 54 54

Représentations : en juin 2016, les 22, 24, 28 et 30 à 20 heures et le 26 à 16 heures ; en juillet 2016, les 5, 7, 9, 11, 13 et 15 à 20 heures

Durée : 2 h 45 environ

Tarifs : de 10 euros à 94 euros

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