« l’Épreuve », de Marivaux, Théâtre de Verdure du jardin Shakespeare au Pré Catelan à Paris

« l’Épreuve » © D.R.

Sous les jupes des filles

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Un marivaudage en robes années cinquante dans un cadre sublime.

Parisien que le retour au travail déprime ou non‑Parisien en visite dans la capitale, on peut être tenté, jusqu’à la fin septembre, de profiter des derniers rayons de soleil sous les frondaisons du bois de Boulogne tout en dégustant un spectacle comme on s’offre une glace à l’italienne. Le Festival In Pré Catelan propose chaque été, et sous la direction de Camille Montag depuis 2013, une série d’œuvres, classiques ou non, interprétées dans l’un des plus surprenants endroits de Paris dévolus au théâtre. Au passage, le jardin Shakespeare, inspiré, comme son nom l’indique, par l’univers du plus célèbre des auteurs anglais, mérite le détour.

Parmi les créations de la saison 2016, voici un marivaudage indiscutablement mis en valeur par son interprétation en plein air. Le lieu de l’action (un château en province) est en parfaite adéquation avec le lieu de représentation, ce jardin à secrets, à décor rocaille et à balancelle sous les arbres centenaires du bois. Effet collatéral, et peut-être inattendu, du parti pris de mise en scène années cinquante, les costumes imités du New Look de Christian Dior (taille très cintrée, jupe ample) sont d’une élégance… dans le vent, au sens propre. Les tenues des comédiennes dessinées par Rick Dijkman dansent en effet au gré de la brise, notamment pendant la savoureuse et trop courte chorégraphie de Caroline Cottier. Du coup, c’est une chanson d’Alain Souchon qui m’est venue à l’esprit et dont Marivaux n’aurait pas renié les paroles :

« Rétines et pupilles

Les garçons ont les yeux qui brillent

Pour un jeu de dupes

Voir sous les jupes des filles. » 1.

Le jeu de dupes, c’est bien le cœur même de cette intrigue : un Parisien fortuné, Lucidor, décide de mettre à l’épreuve l’amour de la naïve Angélique, jeune fille de la campagne dont il est épris, en lui vantant les avantages d’un riche mariage avec un autre. Le coup est bien monté, avec la complicité du valet grimé en vrai-faux prétendant. À partir d’ici, s’enchaînent, selon une mécanique aussi impeccable que prévisible, les jeux de l’amour et du hasard, sur fond de tromperie.

L’art difficile de moderniser les classiques

Au début du spectacle, on éprouve comme une gêne, en entendant ces gens de 1950 se lancer à la tête des mots de 1740. On attend le tour de passe‑passe du metteur en scène, l’idée géniale qui va soudain justifier qu’il ait convoqué Dave Brubeck à la rescousse et envoyé Marivaux se faire rhabiller en simili‑Dior. Il y a certes de belles prestations d’acteurs : Régis Chaussard maîtrise indéniablement la vis comica et Lætitia Richard incarne avec autorité une pulpeuse Lisette. Mais le transfert de l’intrigue en 1950 persiste à être bancal.

Ce n’est pas une innovation absolue d’ailleurs : en 2011, au Vieux‑Colombier, le metteur en scène Yves Beaunesne avait choisi de transposer On ne badine pas avec l’amour dans « l’avant‑1968 ». Malgré l’interprétation inoubliable que les comédiens du Français avaient donnée du chef‑d’œuvre de Musset, ces satanées années cinquante ne m’étaient pas apparues beaucoup plus pertinentes que dans le cas présent. Dans les deux cas, on retrouve, exprimées dans le dossier de presse, des pétitions de principe assez similaires sur l’avant‑libération sexuelle, l’avant‑émancipation féminine. On oublie que les années cinquante sont beaucoup moins un avant (1968) qu’un après (guerre). Que les jeunes gens de cette époque ont été élevés entre carences alimentaires et peur des bombardements, ce qui n’est pas le cas de leurs homologues de 1740. Bref, de toute façon, toutes ces explications me paraissent beaucoup trop intellectualisantes quand Marivaux est d’abord un espiègle luron.

Lætitia Richard, qui est une bonne comédienne, s’est essayée à la mise en scène pour la seconde fois. Elle a tenté l’exercice glissant de la réappropriation par notre temps d’un classique assez daté. Il me semble que son choix historique l’a plus bloquée que libérée. Ou alors peut-être est‑ce le cheminement d’ensemble qui ne va pas assez loin sur le sentier de la légèreté. Les moments dansés, la grâce des silhouettes volant au vent et sautant de marche en marche, sont des instants de magie inattendus. Potentiellement, Marivaux est-il davantage fait pour être dansé que pour être pensé. Et c’est à ce prix qu’il devient intemporel. 

Élisabeth Hennebert

  1. Sous les jupes des filles, paroles et musique d’Alain Souchon, album C’est déjà ça, 1993.

l’Épreuve, de Marivaux

Cie Parciparlà

http://www.compagnieparciparla.com/

Mise en scène : Lætitia Richard

Avec : Régis Chaussard, Sandy Farhi, Dimitri Michelsen, Lætitia Richard et Martin Verschaeve

Chorégraphie : Caroline Cottier

Costumes : Rick Dijkman

Théâtre de Verdure du jardin Shakespeare • allée de la Reine‑Marguerite • route de Suresnes • le Pré Catelan • bois de Boulogne • 75016 Paris

Métro : Porte‑Maillot (ligne 1 et R.E.R. C)

Le samedi 27 août à 17 h 30

Tarifs : de 16 € à 12 €

Durée : 1 h 10

Pour la programmation du Festival In Pré Catelan voir le site http://www.jardinshakespeare.com

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