« les Amants magnifiques », de Molière et Lully, Opéra de Rennes

« les Amants magnifiques » © Erwan Floc’h

Un feu d’artifice de plaisirs

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

L’œuvre de Molière et Lully est un régal incessant pour les yeux et les oreilles. Le spectateur se laisse emporter avec délices dans ce tourbillon de plaisir.

C’est le 4 février 1670, à l’occasion du carnaval, que Louis XIV offre à sa cour une grande fête qui avait pour titre le Divertissement royal, « mêlé de comédie, de musique et d’entrée de ballet ». Depuis sa première publication dans les Œuvres posthumes de Molière en 1682, nous l’appelons les Amants magnifiques, « comédie mêlée de musique et d’entrées de ballet ». Le point de vue a légèrement changé.

L’argument est des plus classiques. Dans une Grèce de convention, une reine magnanime, Aristione, laisse à la princesse Ériphile, sa fille, le soin de choisir elle-même son mari parmi ses prétendants. Au sein de ceux‑ci, deux princes rivalisent de galanteries et de fêtes offertes pour conquérir la princesse. Mais celle‑ci aime en secret le valeureux général Sostrate, qui de son côté l’aime également, mais ne peut le montrer car il est de trop humble extraction. Grâce à l’entregent d’un « plaisant de cour », nous dirions un bouffon, les choses vont cependant s’arranger pour les deux « amants ».

Deux grands ballets, le premier dédié à Neptune et le second à Apollon, encadrent la fête proprement dite. Le roi devait danser lui-même les rôles-titres. Il se récusa au dernier moment ou après la première représentation, selon les traditions, et les Amants magnifiques se trouvèrent de fait être l’ultime grand ballet de cour.

Un ravissement des sens

Nos opéras actuels ne sauraient évidemment rivaliser avec la magnificence et la munificence du Grand Siècle, 160 interprètes par exemple ! Claire Niquet (scénographe) et Vincent Tavernier (mise en scène) ont habilement choisi de jouer la fantaisie et l’appel à l’imagination du spectateur avec une remarquable inventivité. Les tritons et les amours du divertissement marin, vêtus de cirés, sont pleins de fraîcheur, pour ne rien dire du ballet des poissons multicolores qu’ils font allègrement circuler. La figure de Neptune sortant des flots avec un clin d’œil n’est pas moins réjouissante. Il faut louer le jeu des textures dans les tentures qui symbolisent différents décors. La grotte représentée à l’aide d’un grand voile blanc est vraiment poétique. Et comment ne pas citer le dragon, l’automate et les momies ?

Les costumes d’Érick Plaza-Cochet sont d’une richesse qui impressionne, et leur variété souligne la fécondité imaginative de leur créateur. Les danses chorégraphiées par Marie‑Geneviève Massé sont d’une grande séduction. Elles sont modernes, évidemment (voir les claquettes), et pourtant fidèles dans l’esprit aux modèles de l’époque. L’apparente facilité des interprètes contribue à l’élégante légèreté générale.

La comédie sous ses dehors de convention garde la trace des combats de Molière. L’idylle entre la princesse Ériphile et le général Sostrate, admirablement campés par Marie Loisel et Laurent Prévôt, semble parfois anticiper Marivaux. Clitidas (Molière jouait lui-même le rôle à la création) emprunte des traits au malicieux Sganarelle, mais dans sa critique de l’astrologie (on croit à certains moments entendre le Tartuffe), il prend aussi aux « honnêtes hommes », un peu raisonneurs comme Cléante, Ariste ou Philinte. L’éloge et le triomphe du mérite avec Sostrate peuvent surprendre et paraître annonciateurs de Beaumarchais, mais ils étaient assez conformes au projet politique de Louis XIV.

Les interprètes, chanteurs et musiciens, du Concert spirituel, placés ce soir sous la direction enlevée et précise de Nicolas André, rendent justice à la musique de Lully. On est entre la pastorale et l’opéra avec ces ensembles à quatre ou cinq voix, parfois doublées par l’orchestre, avec des passages confiés à des solistes ou à des duos, voire (chose rare à l’époque, me semble-t‑il) à un trio. La richesse du matériau polyphonique charme nos oreilles.

Bref, cette nouvelle production des Amants magnifiques remplit à merveille le programme d’art total demandé à Molière et Lully par Louis XIV. Nous en sortons, tous les sens ravis, pas moins éblouis que les privilégiés qui assistèrent à la création au château de Saint‑Germain-en‑Laye. 

Jean-François Picaut


les Amants magnifiques, de Molière et Lully

Comédie en cinq actes en prose, mêlée de musique et d’entrées de ballet (1670)

Spectacle chanté et joué en français

Mise en scène et direction artistique : Vincent Tavernier

Scénographie : Claire Niquet

Les Malins Plaisirs : direction Vincent Tavernier

Le Concert spirituel : direction musicale Nicolas André

L’Éventail : chorégraphe Marie‑Geneviève Massé

Avec :

Les comédiens des Malins Plaisirs : Mélanie Le Moine, Marie Loisel, Claire Barrabès, Laurent Prévôt, Maxime Costa, Benoît Dallongeville, Pierre‑Guy Cluzeau, Quentin‑Maya Boyé, Olivier Berhault

Les chanteurs du Concert spirituel : Lucie Roche, Eva Zaïcik, Margo Arsane, Laurent Deleuil, Clément Debieuvre, Victor Sicard, Virgile Ancely, Geoffroy Buffière

Les danseurs de L’Éventail : Anne‑Sophie Berring, Bérengère Bodénan, Romain Arreghini, Bruno Benne, Olivier Collin, Pierre‑François Dollé, Robert Le Nuz, Artour Zakirov

Les dix-neuf musiciens du Concert spirituel

Costumes : Érick Plaza‑Cochet

Lumières : Carlos Pérez

Photo : © Erwan Floc’h

Production : Les Malins Plaisirs

Coproduction : Le Concert spirituel, L’Éventail, l’Opéra de Rennes, l’Opéra de Massy, l’Opéra du Grand-Avignon, le Centre de musique baroque de Versailles et la ville du Touquet-Paris‑Plage

Opéra de Rennes • place de l’Hôtel‑de‑Ville • B.P. 3126 • 35031 Rennes cedex

http://www.opera-rennes.fr/

Téléphone : 02 23 62 28 28

Jeudi 26 janvier 2017 et vendredi 27 à 20 heures, samedi 28 à 18 heures, dimanche 29 à 16 heures

Durée : 3 heures avec entracte

51 € | 40 € | 28 € | 17 € | 11 €

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