« les Armoires normandes », des Chiens de Navarre, Théâtre des Bouffes‑du‑Nord à Paris

« les Armoires normandes » © Philippe Lebruman

Malins, les Chiens !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Les Chiens de Navarre font un véritable carton depuis cinq ans : succès public et critique, des spectacles affichant souvent complet, un festival entièrement consacré à eux en 2014 au Théâtre du Rond-Point… Une fois de plus, leur dernière création, « les Armoires normandes », remporte un triomphe aux Bouffes du Nord. Réjouissant parce que irrévérencieux en diable !

L’amour existe ? C’est le titre du film de Maurice Pialat qui a inspiré les Chiens de Navarre. Dans leur dernière création, le collectif livre en effet sa vision des rapports amoureux, depuis la solitude du célibataire jusqu’aux désillusions de l’amour, en passant par la rencontre et une cérémonie de mariage très animée. Tout y est évoqué avec l’humour potache qui le caractérise : la naïveté, voire la bêtise des fiancés ; le désenchantement, voire l’enfer du couple ; la cruauté, voire la perversité des relations ; la solitude, voire la misère affective. Bref, le pire plutôt que le meilleur !

Avec leur liberté de ton, les Chiens de Navarre agissent en meute pour mieux faire exploser les bienséances du théâtre. Leurs spectacles bousculent les codes en vigueur, mais sont-ils vraiment féroces ? Non, tout juste mordants. Les Deschiens (tiens des cousins !) se moquaient, non sans tendresse, des maladroits, des gens simples, des humiliés, donnant alors la parole à ceux qui ne savaient pas s’exprimer. Les Chiens de Navarre, eux, visent les bobos, les snobs de tous bords et les beaufs B.C.B.G. à qui ils tendent un miroir grossissant et très juste. Choix, au demeurant, plus « politiquement correct ». Certes, les spectateurs en prennent plein la gueule, au propre et au figuré, avec le risque de recevoir (vraiment !) un ballon de rugby dans la tête. L’audace, ici : secouer les puces en mettant habilement un joyeux bordel sur scène et dans la salle. En tout cas, les comédiens, dont le travail est fondé sur l’improvisation, s’amusent beaucoup. Débridés, ils sont d’ailleurs tous de formidables interprètes.

Le mariage : union sacrée ?

Poseurs de bombes impénitents, les Chiens de Navarre font quand même commencer le spectacle par le Christ sanguinolent, avec un précipité de l’histoire de l’art qui mérite à lui seul le détour (clou du spectacle !). Blasphématoire ? Le collectif préfère parler d’humour « bon enfant » et insister, en guise d’ouverture de spectacle, sur le symbole de l’amour avec un grand A. Débordant les cadres, les interprètes s’installent même dans la salle pour mieux s’en extirper ou choisir leurs victimes. S’il n’est pas près de brosser le public dans le sens du poil, Jean‑Christophe Meurisse, le chef de la meute, sait toutefois parfaitement ce qu’aiment les spectateurs : la participation, la provoc’, les blagues salaces.

Les constantes références à l’actualité, au buzz du moment, font aussi rire : quand les machinos, en cagoule noire, viennent détacher le crucifié, ce dernier lance : « J’ai rien fait, comme beaucoup de gens en ce moment ! ». Alors, inévitablement, on en arrive au « mariage pour tous ». Sauf qu’ici, point de débat : une main au panier est plus éloquente qu’un long discours.

Difficile de bouder son plaisir !

Réfractaires au mauvais goût, passez votre chemin ! La troupe ne fait pas dans la dentelle. D’ailleurs, bite et nichons à l’air, les comédiens ne s’encombrent pas longtemps de leurs vêtements. Pour forniquer, c’est quand même plus pratique ! Voilà leur marque de fabrique : pas de spectacle sans partouze, ni pipi caca. Bof ! Des procédés qui ne choquent même plus le bourgeois. Mais, qu’on soit baba, ou pas, de ces chiens-là, on ne peut qu’être ébahis par leur faculté à pousser toujours plus loin le bouchon. Balèzes !

Grossier, le collectif n’est pourtant pas vulgaire parce que c’est foutrement bien vu, avec une mise en scène qui ne manque pas de chien. Surtout quand le spectacle bascule dans la poésie trash, sinon la folie, comme la scène de la noce qui vire au jeu de massacre avec ces ballons multicolores dans ces Bouffes du Nord métamorphosées. Décalage intéressant, car le sable blanc et les néons blafards sont pour le moins incongrus dans ce que fut, jadis, l’espace vide de Peter Brook.

Autre bonheur du spectacle : sa construction, avec l’alternance de scènes chorales et de tableaux plus intimistes, comme celui où la veuve renoue le dialogue, avec son mari trop tôt disparu, lors d’une mémorable séance de spiritisme. Sans doute un des moments les plus réussis, avec la satire (hilarante) d’Un homme heureux de William Sheller. Engagés corps et âmes dans cette aventure, c’est quand ils mettent ainsi à nu l’humain que les Chiens de Navarre sont les plus réjouissants. Balèzes et habiles. Malins, quoi ! 

Léna Martinelli


les Armoires normandes, une création collective des Chiens de Navarre

Les Chiens de Navarre • 33 bis, rue de Reuilly • 75012 Paris

09 51 15 99 58

Site : www.chiensdenavarre.com

Courriel : legrandgardonblanc@yahoo.fr

Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse

Avec : Caroline Blinder, Solal Bouloudnine, Claire Delaporte, Céline Fuhrer, Charlotte Laemmel, Manu Laskar, Thomas Scimeca, Anne‑Élodie Sorlin, Maxence Tual, Jean‑Luc Vincent et la participation de Robert Hatisi

Assistante à la mise en scène : Amélie Philippe

Collaboration artistique : Isabelle Catalan

Régie générale, création et régie lumières : Stéphane Lebaleur

Création son : Isabelle Fuchs

Construction : François Gauthier-Lafaye avec Pierre Guilhem‑Coste, Guillaume Lepert, Flavien Renaudon‑Hardy

Costumes : Élisabeth Cerqueira

Photo de les Armoires normandes : © Philippe Lebruman

Théâtre des Bouffes-du-Nord • 37 bis, boulevard de la Chapelle • 75010 Paris

Réservations : 01 46 07 34 50

Site du théâtre : www.bouffesdunord.com

Du 3 au 22 mars 2015, du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 heures

Durée : 1 h 40

30 € | 25 € | 18 €

Tournée :

  • Du 27 au 28 mars 2015 : palais des Beaux-Arts, Charleroi (Belgique)
  • Du 2 au 3 avril 2015 : Le Carré-Les Colonnes, scène conventionnée de Saint-Médard-en-Jalles et de Blanquefort (33)
  • Du 9 au 11 avril 2015 : Théâtres Sorano-Jules Julien, Toulouse (31)
  • Le 16 avril 2015 : La Faïencerie, théâtre de Creil, scène nationale en préfiguration (60)
  • Du 10 au 13 juin 2015 : Les Subsistances, Lyon (69)

https://vimeo.com/121479912

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