« les Éclats du bal », de Daniil Harms, Auguste Théâtre à Paris

rideau-rouge

La mécanique de l’absurde prime sur l’émotion

Par Anne Losq
Les Trois Coups

Dans « les Éclats du bal », la plume loufoque de Daniil Harms, auteur russe méconnu de l’ère stalinienne, est à l’honneur. Si la mise en scène nous permet bien de côtoyer ce chroniqueur soviétique, elle nous laisse parfois sans repères. L’énergie et la passion des comédiens parviennent à tirer des rires du public, mais l’ennui surgit lui aussi. Et, avec lui, la frustration de ne pas complètement saisir les enjeux des textes présentés sur scène.

Le travail de Harms ne m’était pas familier avant d’aller à l’Auguste Théâtre ce soir-là. J’avais cependant pris soin de me renseigner et compris que son œuvre fragmentaire reposait en grande partie sur le comique de l’absurde. Cet écrivain appréciait les formes courtes et dépeignait des personnages aux prises avec leurs propres contradictions. Il poussait alors ces discordances à leur paroxysme, là où l’écriture réaliste ne s’aventurait pas. Le quotidien était déconstruit pour aboutir au rire et apporter un point de vue décalé sur le sens, réel ou imaginé, de nos vies.

D’entrée de jeu, le décor donne le ton de manière flamboyante et maîtrisée. Les trois toiles peintes, exposées sur le mur du fond, contribuent à mettre le plateau en mouvement avec des motifs en forme de spirales et des teintes rouges et orangées. La scène est parée et prête à recevoir les deux comédiens costumés de belles chemises et de pantalons colorés. Le décor accroche la lumière et appelle à s’impliquer dans la pièce.

Les comédiens, Aline Lebert et Harold Crouzet, foulent les planches avec conviction et seront, tout au long du spectacle, très investis dans la transmission des textes. Un tel engagement de leur part m’a permis, à certains moments, de rire ouvertement en faisant l’expérience de ces écrits à la fois insensés et empreints de mécanismes comiques très précis. J’ai notamment apprécié, bien malgré moi, la violence exacerbée de certaines histoires, comme celle dans laquelle un médecin (interprété par Harold Crouzet) ouvre avec vigueur la mâchoire d’une patiente. Crouzet met tant de passion à nous faire voir cet acte qu’on se laisse embarquer dans la folie désopilante du moment avec un plaisir coupable.

Un quatrième mur trop présent

Mais les comédiens semblent gênés par le fait de devoir s’adresser quasi systématiquement au public lorsqu’ils narrent les vignettes de Harms. Ils ont ainsi très peu l’occasion d’interagir puisque, quand l’un d’eux raconte une histoire, l’autre est souvent en retrait et passif. Les deux acteurs sont parfois amenés à se toucher, mais il n’y a là pas de véritable complicité ou de communication sincère, sans doute parce que les deux personnages ne sont pas vraiment censés être unis sur scène.

Le choix de l’adresse directe aurait peut-être mieux fonctionné si Pascal Crantelle, le metteur en scène, avait décloisonné l’espace en orientant aussi les lumières sur le public. Les comédiens se seraient alors pleinement transformés en conteurs et auraient pu nous parler avec plus d’immédiateté. En l’état, le fameux quatrième mur n’était que trop visible, s’érigeant comme une paroi remarquée de tous, mais que personne n’osait démolir. Ce n’est que tout au début et à la toute fin du spectacle qu’un lien émotionnel ténu a pu s’établir, lorsque Crouzet a mis de côté ses personnages absurdes pour discuter à cœur ouvert du destin de l’auteur soviétique.

Les interludes chorégraphiés étaient, quant à eux, soignés et bien maîtrisés par les acteurs. Mais la danse est ici traitée comme un texte de théâtre, dans le sens où les comédiens endossent des postures particulières. On ne peut alors s’empêcher de se demander : « Pourquoi ces personnages dansent-ils ? Qu’est-ce que cela signifie ? ». Au contraire, si la danse avait été abordée pour elle-même, sans arrière-pensée dramaturgique, les corps auraient pu s’affranchir de toute signification et se seraient davantage libérés.

En parlant de non-sens, d’autres transitions se sont, elles, révélées très abruptes : changements soudains de lumières, arrêt subit de la musique. D’après les notes de mise en scène, il s’agit là d’un choix délibéré. Je comprends l’envie de souligner l’absurdité des propos par des variations brusques de régie. Mais, avec un contenu si exigeant et imprévisible, je ne sais pas si le fait d’ajouter des éléments déroutants à la scénographie contribue à valoriser l’écriture.

Il peut s’avérer difficile d’aborder l’œuvre d’un auteur à qui l’on souhaite rendre hommage. L’équipe artistique de la compagnie Alexander‑Thaliway a voulu faire connaître Daniil Harms et, en ce sens, a réussi à lui donner de la visibilité. Mais, afin de présenter sa création sous une forme renouvelée, j’aurais aimé voir transparaître plus d’émotion, quitte à laisser de côté l’abstraction d’une mise en scène un peu trop distanciée. 

Anne Losq


les Éclats du bal, de Daniil Harms

Montage et mise en scène : Pascal Crantelle

Avec : Aline Lebert et Harold Crouzet

Chorégraphie et costumes : Stéphane Puault

Toiles peintes : Patricia Burkhalter

Photo : © Eleanore Dedina

Auguste Théâtre • 6, impasse Lamier • 75011 Paris

Réservations : 01 43 67 20 47

Site du théâtre : www.augustetheatre.fr

Métro : ligne 2, arrêt Philippe-Auguste

Du 20 janvier au 18 mars 2016, mercredi et vendredi à 21 heures

Prolongations du 12 au 22 avril, mardi, jeudi et vendredi à 21 heures

Durée : 1 h 15

16 € | 12 €

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