« les Misérables », d’après Victor Hugo, le Lucernaire à Paris

Le tour d’Hugo en 80 minutes

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Manon Montel nous offre un classique abrégé d’une densité inattendue.

Il faut un culot certain pour oser monter une énième version des Misérables. Pour tout dire, j’allais, un peu sceptique, voir ce modèle réduit pour une demi-douzaine de comédiens sur un plateau d’une demi-douzaine de mètres d’ouverture. Ma tête était pleine de quelques versions grandioses qui constituent des précédents difficiles à égaler, notamment la récente Tempête sous un crâne de Jean Bellorini qui, à mon sens, est un chef-d’œuvre. Bref, je ne croyais pas du tout à ce résumé de deux milliers de pages en quelques tableaux vite faits.

Si les Misérables sont le roman mammouth du xixe siècle français, les reprises qui ont fait date sont toutes calibrées pour orchestre philharmonique avec chœurs. Manon Montel a préféré le format musique de chambre et ne pouvait se dispenser, une fois ce parti adopté, d’aller jusqu’au bout de sa logique, c’est-à‑dire de gommer la majesté symphonique au profit de la petite mélodie, des tonalités subtiles et des charmes discrets du récital.

C’est un Hugo inédit qu’on entend susurrer soudain, lui qui d’habitude est plutôt du genre à proclamer et discourir. La bonne idée est d’avoir un peu rabattu leur caquet aux monstres sacrés de son répertoire : le sanguin Jean Valjean, le malin Gavroche, la poignante Fantine, la chétive Cosette, le diabolique Javert. Ils sont là, qu’on ne s’inquiète pas, et très bien interprétés. Mais la vedette leur est ravie par une série de seconds couteaux qui normalement n’attirent guère l’attention.

D’abord, c’est la Thénardier qui raconte. Renversement de point de vue proche de la révolution copernicienne : entrer dans le mental de l’Affreuse avec un grand A est un voyage tout à fait intéressant. Mais ce sont aussi des personnages tels que Courfeyrac (inoubliable François Pérache) ou Gillenormand (émouvant Dov Cohen) qui sont mis en avant (question à cent balles pour qui n’est pas agrégé de lettres : qui sont Courfeyrac et Gillenormand dans les Misérables ?). Des épisodes méconnus ressortent comme la mécanique de l’usine présentée sous forme chorégraphique ou ce Waterloo-minute saisissant. Le roman qu’on nous donne à voir n’est peut-être pas le vrai de vrai, celui qu’on connaît, mais c’est celui qui plaît.

On ne peut qu’inciter Manon Montel à persévérer avec tant d’intelligence dans la voie du théâtre jivaro ou de la dramaturgie bonsaï : l’art de la miniaturisation, quand il est bien maîtrisé, est une œuvre d’utilité publique. Il reste Guerre et paix, les Trois Mousquetaires, Crime et châtiment… Que de travail à venir pour la Cie Chouchenko ! 

Élisabeth Hennebert


les Misérables, d’après Victor Hugo par la Cie Chouchenko

www.chouchenko.com

Adaptation et mise en scène : Manon Montel

Avec (en alternance) : Dov Cohen, Stéphane Dauch, Anatole de Bodinat, Claire Faurot, Jean‑Christophe Frèche, Cécile Génovèse, Manon Montel, Léo Paget, Xavier Girard et François Pérache

Scénographie : Margaux Compte‑Mergier

Chorégraphie et musique originale : Claire Faurot

Costumes : Patricia de Fenoyl, assistée de Floriane Boulanger

Lumière : David Maul

Photos : © Bruno Delord

Le Lucernaire • 53, rue Notre‑Dame-des‑Champs • 75006 Paris

Réservations : 01 45 44 57 34

Site du théâtre : www.lucernaire.fr

Métro : ligne 12, station Notre‑Dame-des‑Champs, ligne 4, station Vavin ou Saint‑Placide et ligne 6, station Edgard‑Quinet

Jusqu’au 7 mai 2017, du mardi au samedi à 20 heures, le dimanche à 18 heures, rencontre avec l’équipe artistique le 7 avril à l’issue de la représentation

Durée : 1 h 20

26 €, 21 € 16 € et 11 €

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