« les Quatre Saisons », d’Angelin Preljocaj, Triangle | Plateau à Rennes

« les Quatre Saisons » © J.-C. Carbonne

« Créer l’interférence pour dévoiler l’intemporel… »

Par Aurore Krol
Les Trois Coups

Cette création d’Angelin Preljocaj, dont la trame est une des œuvres musicales les plus connues au monde, nous transporte dans un univers oscillant entre classique et ultracontemporain. Les P.O.F. (prototypes d’objets en fonctionnement) du plasticien Fabrice Hyber se confrontent à la musique de chambre, et, aussi éloignés soient-elles, ces deux formes d’art se rejoignent dans la danse. L’interaction se fait grâce aux corps, à leur capacité de relier et de nous transmettre une réelle harmonie.

« Ils viennent couvrant l’air d’un manteau noir. » Ce vers, extrait du premier des sonnets qui accompagnent les quatre concertos, est matérialisé dans le tableau initial. Chorégraphie, corps et graphie, la danse est bel et bien au geste ce que la poésie est à l’écriture : un enchaînement vertigineux entraînant davantage la sensation que le sens. Avec des images qui se répètent comme des phrases musicales, des images qui miment la rythmique de l’œuvre : un effet de rappel pour une musique cyclique.

Tout commence donc par douze corps nus drapés de noir (le nombre n’est pas anodin…), par une mise en scène de la peau visible ou entrevue. Par la suite, les séquences s’enchaînent sous les P.O.F. suspendus qui défilent. Qu’y a-t-il donc dans le ciel, quelles intempéries menacent ce ballet ? Que signifient ces P.O.F. ? Ces formes colorées empruntent-elles au pop art ou au quotidien ? Est-ce un ersatz de spiritualité ? Un accident latent au cœur de ce microcosme social ? Une frise aérienne figée pour contrebalancer le dynamisme et la fraîcheur des gestes ?

Tenter de mettre des mots sur ce que l’on voit et ce que l’on ressent est une erreur qu’Angelin Preljocaj ne nous laisse pas le temps de faire. En effet, l’éblouissement des motifs présentés ne permet pas un instant de recul. On prend en plein visage cette série de déroulements esthétiques. Les Quatre Saisons ont cette impulsion d’enthousiasme qui permet tous les excès. Les corps s’emballent ou se dévoilent, non sans humour : le plastique, le fluo, se confrontent à un fétichisme un peu kitsch de talons aiguilles noirs et de sous-vêtements suggestifs. Tout cela revient en touche pour le tableau final dans un savant dosage des nuances, qui montre le souci accordé à l’image.

« les Quatre Saisons » © J.-C. Carbonne
« les Quatre Saisons » © J.-C. Carbonne

Il y a là une rivalité ludique des corps, où jalousie et séduction se succèdent dans les rapports qui unissent les douze danseurs. On touche à l’intemporel, aux affres cycliques de la Nature, mais aussi et surtout à celles de la nature humaine. On est au plus près des corps et de leurs instincts : des corps qui s’affrontent, se confondent, se traquent ou se cherchent, se frôlent et se caressent. La séduction est une gestuelle animale, un rapport de force qui s’enclenche comme un mécanisme dès qu’une tierce personne intervient dans le tableau. La jalousie côtoie alors la sensation de perte de l’autre, comme dans cette scène où une femme semble subir des électrochocs dans les bras de son amant terrifié, ou encore ce moment de rivalité où deux danseuses palpent, pincent et saisissent à pleine main la peau de l’autre.

Et, comme un ciel capricieux, comme une menace sur ces virevoltes terrestres, les objets du plasticien finissent parfois par tomber pour que les hommes s’y mesurent. De cette perturbation, découle une surprise du corps, un état de fragilité réceptive, mais aussi un moyen de venir précipiter ou bousculer cette musique si connue qu’elle n’est peut-être pas si souvent que ça écoutée.

Ce spectacle hybride est tout autant un reflet de la part d’ombre constitutive de chaque individu qu’un hymne au ludique, au corps redevenu jeu et jouissance. Et l’on sait à quel point le jeu peut aider à se redécouvrir… L’impulsion qui se dégage de ce spectacle est communicative, comme en témoigne l’ovation méritée que le public à offerte aux danseurs lors des saluts. C’est donc un moment assez intense pour le spectateur. Qui sort de la salle en gardant en soi l’élan éblouissant auquel il a été convié. 

Aurore Krol


les Quatre Saisons, d’Angelin Preljocaj

Chorégraphie, chaosgraphie, musique : Angelin Preljocaj, Fabrice Hyber, Antonio Vivaldi

Pièce pour douze danseurs, création 2005

Danseurs : Virginie Caussin, Céline Galli, Lorena O’Neill, Zaratiana Randrianantenania, Nagisa Shirai, Hervé Chaussard, Damien Chevron, Craig Dawson, Davide Di Pretoro, Thomas Michaux, Julien Thibault

Interprétation : Giuliano Carmignola

Le Venice Baroque Orchestra dirigé par Andrea Marcon

Lumière : Patrick Riou et Angelin Preljocaj

Costumes P.O.F. : Fabrice Hyber

Costumes : Angelin Preljocaj, assisté de Claudine Duranti

Choréologue : Dany Lévêque

Réalisation décor : Atelier du Petit-Chantier

Réalisation costumes P.O.F. : Atelier Mixtur

Réalisation costumes : Atelier du Théâtre national de Nice

Assistant, adjoint à la direction artistique : Youri Van den Bosch

Assistante répétitrice : Claudia De Smet

Direction technique : Luc Corazza

Régie lumières : Cécile Giovansili

Régie scène : Michel Carbuccia

Régie costumes : Claudine Duranti

Photos : © J.‑C. Carbonne

Triangle | Plateau pour la danse • boulevard de Yougoslavie • 35000 Rennes

www.t-n-b.fr

Du mercredi 9 janvier 2008 au samedi 19 janvier à 20 heures (relâche dimanche 13 et lundi 14)

Durée : 1 h 15

Renseignements / réservations au Triangle | Plateau pour la danse : 02 99 22 27 27

Tarifs : 23 € | 17 € | 12 € | 8 €

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