« les Retours de Don Quichotte », le Ring à Avignon

Les voix me disent © D.R.

Les soirs noirâtres où il pleut dans notre âme

Par Vincent Cambier
Les Trois Coups

La compagnie amiénoise Ches panses vertes vient régulièrement dans le Off d’Avignon depuis 1989. En juillet 2007, elle a joué au Ring, un joli petit théâtre consacré aux écritures contemporaines, qui plus est, ouvert toute l’année. La pièce qui s’y est donnée s’intitule « les Retours de Don Quichotte ». Elle résulte d’une commande à six auteurs vivants par Sylvie Baillon, metteuse en scène. Les six textes étaient répartis par trois les jours pairs et impairs. Ce que j’en ai vu ressemble à cette Picarde : talentueux, humaniste et généreux.

En ce qui me concerne, j’ai assisté à la représentation des jours impairs, c’est-à‑dire le jour des textes Mon cœur est parti dans mon cheval, de Jean Cagnard ; Rocamadour, d’Alain Gautré et Les voix me disent, de François Chaffin.

Au début, l’ennui m’a capturé dans ses filets. Le texte de Jean Cagnard ne m’a pas accroché du tout. Ses mots et ses idées n’ont pas provoqué d’écho dans mon corps, dans mon cœur, dans ma vie. Même la mise en scène et le jeu, que j’ai ressentis comme mécaniques, désincarnés et essentiellement tournés vers la manipulation de marionnettes, ont laissé mon palpitant à l’extérieur.

En revanche, les deux autres textes, oui ! Ces deux belles écritures, chacune d’un genre très différent, m’ont convaincu de l’actualité criante du mythe de Don Quichotte et de Sancho Pança. Ou de l’utopiste et de la fourmi ouvrière qui l’aide à réaliser ses projets, si fous soient‑ils.

Le texte drôle de Gautré évoque deux cadres amiénois de la Société des matelas Matelot – Dominique Chotte et Jean‑Paul Pensa. Ils sont venus à Rocamadour en séminaire de vente. Ils ont visité une chapelle, où Dominique Chotte s’est laissé enfermer. Car à cet endroit même, tel Jeanne d’Arc, il a été « appelé » pour redresser la France. Mais, lui, par de Gaulle et non par la Vierge ! Et le général lui « a demandé de protéger la France, son camaïeu. Sa douceur angevine. Ses calissons d’Aix. Son sanglier des Ardennes. Son plomb du Cantal. Sa futaie Colbert. Sa saucisse de Montbéliard. Son mont Saint-Michel… ».

Ça tombe bien, car Chotte « étouffe dans l’armure de [sa] petitesse ». En tout cas, il faut se battre parce que « il n’y a plus d’idéal, si ce n’est celui, papillonnant, de la guerre des étoiles, qui brilleront toujours moins que les deux au képi du général ». Et, si nous n’y prenons pas garde, le « Manneken-Pis pissera du Coca-Cola ».

Le texte de Chaffin est plus grave, plus incisif, plus féroce même. Là aussi, j’y sens l’urgence de ravauder les utopies, car « le vingt et unième siècle ne fait plus guère usage du Quichotte. Son rêve est un rêve d’insecte : il ne veut plus croître que sur le cadavre du voisin… ».

Chaffin déclare donc la guerre à la médiocrité, ce long cancer de l’être : « Gourmons les malfaisants, les injustes, les rabougris et allons encore, allons toujours, partons pour convertir le monde au désir et achever sa petitesse ! » Il faut retrouver « l’inouï d’un temps passé », transformer « la pacotille de nos espoirs » en bijou précieux, étrangler la mélancolie. De toute façon « les hommes ne grandiront pas sans héros » et nous devons « tutoyer l’infini » si nous voulons rester debout. C’est clair : « ce dont les hommes ont le plus grand besoin, c’est d’un idéal pour aller en vie battre les diables ». Je cesse ici les citations, mais je vous assure que le texte fourmille d’autres beautés de langue, qui, moi, m’enchantent.

Sylvie Baillon, cette femme talentueuse, le théâtre chevillé au corps et à l’âme, a voulu nous faire entendre « six points de vue sur ces figures chargées de quatre siècles d’histoires. Pour tenter de dire la pluralité des voix dans un monde trop souvent monoparlé. Don Quichotte et Sancho comme compagnons, pour réapprendre peut-être à rêver, rire de nos mythologies, nous redonner du futur, pour nous tenir debout… ». On ne peut mieux dire. Dans notre monde cabossé, injuste et cruel, des artistes comme Sylvie Baillon, François Chaffin et Alain Gautré sont indispensables à notre survie d’hommes et de femmes. En somme, ces trois‑là façonnent un peu de ciel bleu pour nous donner du courage les soirs noirâtres où il pleut dans notre âme.

Et l’interprétation plus incarnée, plus charnelle de ces deux derniers textes a été un bonheur de spectateur. J’ai senti une humanité et une générosité magnifiques chez les trois comédiens – Audrey Bonnefoy, Olivier Sellier et Éric Goulouzelle. Mais je dois dire que ce dernier, greffant sur ses compositions son expérience et son talent hors norme, a apporté encore une dimension supplémentaire. Dans Rocamadour, en « élu » de De Gaulle, il est tout simplement grandiose. 

Vincent Cambier


les Retours de Don Quichotte

Jours pairs : Don Quichotte ou le Dernier Enchantement, de Nathalie Fillon ; Cid Hamet de Picardie, le Désastre ou la Grâce, de Raymond Godefroy ; Message de Picardie intérieure, Socrate parle à Sancho, la Création de Sancho, le Dernier Rêve de Sancho, de Gilles Aufray

Jours impairs : Mon cœur est parti dans mon cheval, de Jean Cagnard ; Rocamadour, d’Alain Gautré ; Les voix me disent, de François Chaffin

Ches panses vertes • Maison du théâtre • 24, rue Saint‑Leu • 80000 Amiens

03 22 92 19 32

www.chespansesvertes.com

Mise en scène : Sylvie Baillon

Avec : Audrey Bonnefoy, Éric Goulouzelle et Olivier Sellier

Dramaturgie : Antoine Vasseur

Scénographie : Marie‑Claude Quignon

Marionnettes : Éric Goulouzelle

Costumes : Sophie Schaal

Musique (en direct) : Luc Herbaut

Lumière : Yvan Lombard

Le Ring • 13, rue Louis‑Pasteur • Avignon

Réservations : 04 90 27 02 03

Du 6 au 28 juillet 2007 à 17 h 30

Durée : 1 h 15 (jours pairs), 1 h 25 (jours impairs)

13 € | 9 €

Deux représentations : 22 € | 15 €

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