« Les Trois Coups » signalent les parutions récentes consacrées au théâtre à ne pas manquer [2]

Bulletin no 2 :
en librairie…

Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups

Monographies, biographies, mémoires, rééditions
de classiques…

Le Théâtre des idées, d’Antoine Vitez

Anthologie proposée par Danièle Sallenave et Georges Banu

Gallimard, coll. « Pratique du théâtre », éd. augmentée, 2015

Sous le beau titre du Théâtre des idées, expression d’Antoine Vitez lui-même, Danièle Sallenave et Georges Banu ont rassemblé dès 1991, un an après sa brutale disparition, les contributions essentielles du metteur en scène sur l’art du théâtre. La présente réédition, augmentée, est ainsi un second hommage éditorial, vingt-cinq ans après.

Vitez est une référence majeure de la scène française du xxe siècle dans la lignée de Jacques Copeau, Louis Jouvet et Jean Vilar. On le réduit trop souvent à la formule mal comprise d’« élitaire pour tous ». Il apparaît ici comme un « Diderot des temps modernes » désireux de « faire théâtre de tout », penseur heureux autant que pédagogue déchiré. L’anthologie rassemble ses « positions » sur la création théâtrale, mais aussi des portraits (Vilar, Aragon, Elsa Triolet, Julian Beck, Giorgio Strehler…). Elle réunit également des entretiens parus dans divers périodiques, des notes et extraits de passionnants journaux de travail, ainsi que l’ensemble des programmes des mises en scène réalisées, depuis Électre (1966) jusqu’à la Vie de Galilée (1990). Elle se clôt par un essai sur la « traduction généralisée », la passion essentielle de Vitez. Cette tâche à la fois « nécessaire » et « impossible » est élevée au rang d’un « devoir », qui participe d’un profond « humanisme » et qui se confond avec « l’activité même de l’esprit ».

608 pages, 26,50 €

www.gallimard.fr

Scènes de la critique, sous la direction d’Emmanuel Wallon

Introduction d’Emmanuel Wallon, postface de Christian Biet

Actes Sud, coll. « Apprendre », 2015

En 1912, les critiques dramatiques avaient le sens de l’honneur, comme l’illustre le duel qui opposa l’auteur Pierre Eugène Veber à Léon Blum, après la parution d’un article jugé insultant paru dans le Matin. Le dramaturge, auteur de vaudevilles, était venu, lors d’une couturière 1, gifler le critique en vogue, futur chef du gouvernement, et réparation avait été demandée…

Dans son introduction, Emmanuel Wallon, sociologue spécialisé dans l’étude des politiques culturelles, a raison d’observer qu’aujourd’hui « la critique arbore un visage moins querelleur » et que « ses duels, s’ils adviennent, se livrent à fleuret moucheté dans les jurys du prix de son syndicat professionnel ou les commissions d’experts du ministère ».

Longtemps pivot de la relation entre l’artiste et le public, la critique dramatique n’a jamais été aussi diverse et variée, au risque de se disperser, voire de s’abîmer, allant de la chronique mondaine de l’avant-papier au procès-verbal, du décodage maniaque à la dérive systématiquement pédante destinée aux fous de l’art dramatique et à une poignée d’étudiants… Aux abois dans la presse papier traditionnelle, elle prolifère sur Internet ou, à l’inverse, s’adresse à quelques-uns seulement dans des revues microcosmiques et confidentielles, que seule l’intervention des pouvoirs publics arrive parfois à sauver.

Composé d’une vingtaine d’articles de contributeurs attendus (Chantal Meyer-Plantureux, Jean‑Pierre Han, Marie‑José Sirach, Bruno Tackels, Antoine de Baecque…), cet ouvrage montre l’évolution du métier, et les rappels historiques sont pleins de saveur. Il met en lumière les mutations d’une pratique qui tente de suivre les changements des arts de la scène, après avoir profité dans les années 1960-1980 du renouveau des sciences humaines, mais qui peine aujourd’hui à démontrer son utilité sociale.

192 pages, 14,80 €

Disponible aussi en version numérique

http://www.actes-sud.fr/catalogue/essais-et-ecrits-sur-le-theatre/apprendre-37-scenes-de-la-critique

  1. Au théâtre, dernière répétition précédant la générale (au cours de laquelle les couturières apportaient autrefois les ultimes retouches aux costumes).

Ma pauvre chambre de l’imagination (Kantor par lui-même), de Tadeusz Kantor

Les Solitaires intempestifs, coll. « Du désavantage du vent », 2015

Auteur, metteur en scène, plasticien, scénographe polonais, Tadeusz Kantor (1915-1990) est l’une des personnalités les plus marquantes du théâtre européen de la seconde moitié du xxe siècle. Ses spectacles la Classe morte (1975) et Wielopole Wielopole (1980) ont tourné dans le monde entier et ont été élevés au rang de mythes. Influencé par le constructivisme, mais aussi par le dadaïsme et le surréalisme, notamment dans son rapport à l’objet, Kantor développe l’une des visions du monde les plus singulières et les plus désespérées qui soient, fortement marqué par l’univers stérilisant des deux guerres mondiales. Ce recueil constitue, selon les mots de Jean‑Pierre Thibaudat dans sa courte préface, une « introduction à la vie et à l’œuvre (de Kantor) à travers ses mots mêmes ». Une parfaite initiation qui passe par l’histoire de « la chaise », symbole emblématique de l’univers kantorien, et par la découverte de la voie qui mène au « théâtre de la mort ».

109 pages, 13 €

http://www.solitairesintempestifs.com/livres/541-ma-pauvre-chambre-de-limagination-kantor-par-lui-meme-9782846814454.html

Écrits 1 (Du théâtre clandestin au théâtre de la mort), de Tadeusz Kantor

Les Solitaires intempestifs, coll. « Œuvres choisies », 2015

Marie-Thérèse Vido-Rzewuska, déjà traductrice de Ma pauvre chambre de l’imagination (voir supra), réunit dans ce premier volume des Écrits, conçu en 11 parties, l’ensemble des textes majeurs de Tadeusz Kantor. Cela permet de suivre les étapes successives de sa création jusqu’à la Classe morte. La sortie du second volet, couvrant la période allant de Wielopole Wielopole à la dernière répétition, est annoncée en librairie pour juillet 2015.

On observe donc ici les premières années de l’artiste et la naissance de son théâtre clandestin à travers ses manifestes. Ceux-ci accompagnent les œuvres montées en secret dans des appartements privés pendant la guerre, sous l’occupation de l’Allemagne nazie. Suivent les textes immédiatement composés après la Seconde Guerre mondiale, qui témoignent d’un élan de liberté avant que ne s’abatte sur la Pologne, en 1949, la chape du stalinisme. Au milieu des années 1950, le dégel permet l’édification du Théâtre Cricot 2 (anagramme de to cyrk, « le cirque ») au sein du Groupe de Cracovie, constitué de plasticiens, de musiciens et de poètes. Plus tard, parallèlement à ses créations scéniques, Kantor poursuit ses activités artistiques en combinant arts plastiques et théâtre, avec les « emballages » (à partir de 1956) et les « happenings-cricotages » (à partir de 1965). Trois parties sont consacrées au « théâtre zéro », au « théâtre des évènements » et à « l’époque de l’impossible ». Kantor est alors à la recherche d’un « théâtre autonome » qui ne se réduit pas à un mode d’interprétation scénique de la littérature dramatique, mais qui possède sa propre réalité indépendante. La dernière partie, « Vers le théâtre de la mort » (1955-1975), revient sur le postulat d’Edward Gordon Craig et conclut que « la condition de la mort constitue la référence la plus extrême de la condition de l’artiste et de l’art ». Magistralement traduits, ces textes sont portés par des élans qui rappellent souvent Antonin Artaud. Marie‑Thérèse Vido-Rzewuska s’est en outre efforcée de se conformer à la mise en scène que Kantor faisait lui-même de ses textes, par un travail de mise en page et de recherche typographique, pour en respecter le rythme et la respiration.

480 pages, 23 €

http://www.solitairesintempestifs.com/livres/547-ecrits-1-du-theatre-clandestin-au-theatre-de-la-mort-9782846814492.html

Rodolphe Fouano

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