« les Trois Richard », d’après « Richard III » de Shakespeare, Printemps des comédiens à Montpellier

les Trois Richard © Marie Clauzade

Laver l’histoire à la machine

Par Delphine Padovani
Les Trois Coups

Au Printemps des comédiens, la première des « Trois Richard » débute dans une atmosphère électrique et tourne court sous une pluie battante. Une douche froide manifestement bénéfique au vu de la seconde représentation, plus fluide et plus engageante.

Pour prendre sa revanche contre la nature, qui l’a fait difforme et détestable, et pour s’emparer du royaume destiné à tous ses parents sauf à lui‑même, Richard ne recule devant aucune infamie. De fait, l’intrigue de Richard III consiste à faire tomber les têtes qui se dressent entre le monstrueux stratège et la couronne.

Dans leur adaptation, Dan Jemmett et sa collaboratrice Mériam Korichi traitent sur un mode parodique le programme conçu par Shakespeare selon les codes de la tragédie historique. Ils recrutent trois acteurs pour jouer Richard – lequel n’a pas rêvé d’incarner un jour cette crapule ? – et leur imposent en contrepartie de faire à tour de rôle tous les autres personnages. En conséquence, le texte passe pour ainsi dire en avance rapide lors des scènes jugées secondaires. L’accent porte sur les états d’âmes de Richard, ses manigances et ses rares alliances, en somme sur l’arc principal, sur ce qui ne s’oublie pas quand on a déjà vu la pièce.

Selon sa culture et sa génération, chacun verra dans cette version une référence aux films, spectacles ou séries télévisées comiques anglo-saxons. Les gags potaches, les intermèdes dansés, les costumes étriqués, les perruques aplaties sur des têtes blafardes et grimaçantes évoquent, par exemple, le cinéma de Mel Brooks ou encore les numéros du Monty Python’s Flying Circus. En outre, l’utilisation d’un vieux canapé, où viennent régulièrement s’échouer les acteurs pour avaler du thé froid, rappelle les sitcoms des années 1990-2000 et leur kyrielle de protagonistes armés de mugs fétiches, devisant avec humour de leurs existences minables.

La force comique du trio

Si la mise en scène donne la part belle aux éléments burlesques, c’est au profit d’une lecture dramaturgique aboutie. La démultiplication de Richard en trois entités projetées dans un univers loufoque donne souvent la sensation que l’individu, ignoré et méprisé de tous, en est réduit à jouer seul sa petite tragédie. En outre, la force comique du trio illustre bien le charme du personnage, que Shakespeare a voulu tout à la fois repoussant et irrésistible. Le rire rend l’énergumène sympathique et ses basses œuvres plutôt drôles. À d’autres moments, le recours aux trois acteurs souligne sa dangerosité, sa capacité à jouer sur plusieurs tableaux et à vivre plus vite que la musique.

Le dispositif scénique en forme de théâtre, voire de castelet, renforce la mascarade suscitée par le jeu outré des comédiens. Cette jolie structure se compose d’un cadre équipé de portes, à jardin et cour, et d’épais rideaux au rouge défraîchi. Légèrement surélevé, l’ensemble dessine deux espaces privilégiés : derrière les rideaux où trône un grand lit rouge et or, et devant les rideaux où la scène s’avance en éperon. Sur le grand plateau de l’amphithéâtre d’O, cette scénographie d’inspiration élisabéthaine accroche particulièrement bien la lumière. Très vite, les tons dorés de l’éclairage balaient l’image d’un décor prétendument modeste. Le rendu est un peu clinquant, mais tout à fait conforme à l’esprit des œuvres comiques que Dan Jemmett semble affectionner.

L’intérêt de la scénographie réside aussi dans la présence de divers accessoires contemporains, disposés en marge de la structure principale. Au coin salon situé à jardin répond un coin buanderie situé à cour. Ici, se déroulent des scènes savoureuses où le mécanisme implacable de l’histoire est figuré par le cycle de lavage d’une machine. Quand toute la cour a passé l’arme à gauche, rien de plus simple que de nettoyer le linge sanguinolent, en attendant de connaître les nouveaux possesseurs de chaque titre de noblesse. Suivra une nouvelle série de règlements de compte, soldés à coups d’adoucissant liquide, poison idéal pour celui qui cache une main assassine dans un gant de velours.

On voit que l’équipe artistique des Trois Richard laisse peu de place au hasard. Ses propositions sont éventuellement discutables pour des questions de goût et de sensibilité, mais toujours soignées, assumées et parfaitement cohérentes. Dès lors, pourquoi bouder son plaisir ? 

Delphine Padovani


les Trois Richard, d’après Richard III de William Shakespeare

Adaptation : Dan Jemmett et Mériam Korichi

Traduction : Mériam Korichi

Cie des Petites‑Heures • 50, rue du Faubourg-Saint‑Antoine • 75012 Paris

01 42 71 86 17

Site : www.compagniedespetitesheures.com

Courriel : cie.petites.heures@wanadoo.fr

Mise en scène : Dan Jemmett

Collaboratrice artistique : Mériam Korichi

Avec : Giovanni Calò, Valérie Crouzet, Marc Prin

Décor : Dick Bird

Lumière : Arnaud Jung

Costumes : Sylvie Martin‑Hyszka

Régie générale : Thierry Ganivenq

Régie plateau : Jason Razoux

Régie lumières : Marc Comparet

Photo : © Marie Clauzade

Production : Cie des Petites-Heures et le comité des fêtes

Coproduction : Printemps des comédiens-Montpellier, Théâtre des Sablons à Neuilly-sur‑Seine, Théâtre de Grasse

Printemps des comédiens • 178, rue de la Carriérasse • 34097 Montpellier cedex 5

Site du théâtre : www.printempsdescomediens.com

Réservations : 04 67 63 66 57

Jeudi 7, vendredi 8 et samedi 9 juin 2012 à 22 heures

Durée : 1 h 35

24 € | 20 € | 11 €

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