L’art de la désobéissance
Par Juliette Nadal
Les Trois Coups
La troupe de circassiens venue du Pays de Galles, le Nofit State Circus, déploie son univers enjoué dans le parc du domaine Lacroix-Laval à Marcy l’Étoile, dans le Grand Lyon. Un moment plein de vie, une folle énergie au service de l’indiscipline. Électrisant et revigorant !
Cela commence avant le spectacle. On marche dans les vastes étendues du parc vers le chapiteau. Les Gallois ont installé des tables et des chaises bricolées, des guirlandes lumineuses, des fleurs, un snack où l’on est servi par des serveuses à l’accent british. C’est coquet et chaleureux. Les caravanes des artistes émergent derrière le chapiteau. On aperçoit les uns s’échauffer dans un enclos de gazon, d’autres promènent leur petit enfant, certains répètent de la musique. L’esprit du cirque, de la troupe, de la vie nomade, familial et gai. Ils sont là pour une quinzaine de jours. Ils vivent provisoirement ici. Et on se sent invité.
Même gaité et même énergie à l’entrée du cirque : on est accueilli par une fanfare, puis par les artistes, disséminés ici et là entre les gradins, aidant chacun à prendre place, glissant un regard malicieux. Rires, éclats de musique. Le numéro commence en forme de titre, comme à l’école : « Bienvenue au Lexicon, l’art de la désobéissance ».
Folie collective
Le plateau évoque une salle de classe d’antan : trois rangées de pupitres, des élèves en habits aux motifs écossais (pantalons à carreaux Prince de Galles, chaussettes Jacquard, casquette traditionnelle) s’agitent et chahutent. Le maître n’est pas là. Il descend depuis le sommet du chapiteau et se pose sur le fil de fer suspendu au-dessus de la classe. Cette longue silhouette en soutane noire, tient une perche entre les mains comme une verge, du temps où le châtiment physique tenait lieu de méthode pédagogique. Il égrène des injonctions : « Spell the word ! Write your name ! Read the book ! » qui ne parviennent pas aux élèves. Funambule bientôt déchu par l’esprit d’indiscipline qui souffle soudain. Les bureaux s’envolent, la salle de classe éclate, comme sous l’effet d’une énergie vitale trop longtemps contenue. Une fièvre s’empare du plateau. L’esprit de jeu détrône l’esprit de sérieux.
Les numéros s’enchaînent avec une impressionnante fluidité. Car tout est joué, même les transitions et les gestes techniques. Pendant deux heures, nous assistons à des saynètes, où les prouesses acrobatiques racontent des instants de la vie d’écolier. Chahut de la cour de récréation sous forme de portés, rivalité entre garçons mesurée sur toutes sortes de cycles, galeries de portraits sensibles aux sangles, au cerceau ou bien encore aux cordes lisses, moment de cohésion autour de la danse, duo amoureux sur fond de Trinka revisité, vibration collective dans les chants et la musique.
Une indiscipline parfaitement maîtrisée
Tout est juste et soigné. Lumière, costumes, virtuosité technique, principe dramaturgique, voix et instruments. Il n’y a pas de discipline phare. Chacun des artistes excède sa propre spécialité pour se montrer aussi bon comédien que chanteur ou instrumentiste, comme un refus du cadre, du carcan, pour évoquer cet âge adolescent, vif et tumultueux.
Ainsi cette jeune fille aux cordes lisses, qui se noue, s’arrime, se lâche, se rattrape, s’empêtre et se libère, en guise de métaphore des troubles et des vertiges intimes. Ainsi ce jeune garçon échouant à grimper au sommet d’une roue suspendue revêt une cape rouge et un casque de vélo, s’envole, jubile et se fracasse contre un poteau. Ils nous absorbent et donnent à rêver sinon à réfléchir sur cet incompressible esprit de sérieux qui pèse sur nos vies. Les Gallois débarquent et nous rapportent un flacon d’essentielle jeunesse. ¶
Juliette Nadal
Lexicon, de Nofit State Circus
Présentation vidéo ici
Direction et mise en scène : Firenza Guidi
Avec : Lyndall Merry, Junior Barbosa, Joachim Aussibal, Luke Hallgarten, Luca Morrocchi, Sam Goodburn, Vilhelmiina Sinervo, Rosa-Maria Autio, Pablo Meneu, Rosa-Marie Schmid, Nicolo Marzoli, Katleen Ravoet, Davide Salodini, Lisa Savini, Molly Samson, Pauline Frémeau, Ellis Grover, Dyan Williams, Cecilia Zucchetti
Direction artistique : Tom Rack
Composition musicale : David Murray
Création costumes : Rhiannon Matthews
Ingénierie : Lyndall Murray et Tarn Aitken
Création lumière : Jean-Marie Prouvèze
Scénographie : Nic Von Der Borch
Création video : Liviu Pasare
Mouvement : Joe Wild
Durée : 2 heures avec 15 min d’entracte
Tout public
Domaine Lacroix-Laval • 69280 Marcy l’Étoile
Dans le cadre des Nuits de Fourvière
Du 28 juin au 14 juillet à 20 h 30, relâche le lundi 1er juillet et 8 juillet
De 12 € à 24 €
Réservations : 04 72 32 00 00 et en ligne
Tournée :
Du 25 juillet au 11 août à Zomer van Antwerpen, à Anvers (Belgique)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Campana, du Cirque Trotolla, par Léna Martinelli
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