« l’Histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort », de Matéï Visniec, Théâtre des Halles à Avignon

« C’est moi, ce silence qui te caresse »

Par Vincent Cambier
Les Trois Coups

Les 14 et 15 avril 2005, au Théâtre des Halles, la compagnie de l’Homme-au‑Nez‑Rouge présentait « l’Histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort », de Matéï Visniec.

Le début de la pièce est excitant : un homme (Lui) se réveille dans son lit après une nuit agitée et largement arrosée. Jusque‑là, rien que de très banal. Sauf que nous sommes chez Visniec, que la mécanique de la logique va se dérégler et que l’auteur va nous emmener dans son territoire favori : l’Absurdie. Parce que Lui va trouver également dans son lit une femme inconnue (Elle) et toute nue ! Évidemment, il y a de quoi se poser des questions. Surtout au pays de Descartes.

Elle veut partir, Lui veut qu’elle reste. Elle finit, après ses jérémiades, par lui promettre de revenir pendant neuf nuits. Toute une vie, en somme.

Je l’avoue : ce n’est pas ma pièce préférée de Matéï Visniec. Autant j’y retrouve des moments profondément drôles et poétiques, autant certains passages me laissent de marbre ou m’agacent : les piafs qui se reproduisent à qui mieux mieux en un clin d’œil (« Ils couchent avec mon odeur, avec mon ombre, avec mon souffle, avec les battements de mon cœur. Dès que je dis quelque chose, ils s’accouplent avec mes paroles… »), l’allusion au Francfort du titre… Autant je fonds devant la tendresse incroyable qui sourd de ces conversations amoureuses, devant l’histoire de la famille aux arbres fruitiers, devant la sensation appétissante du tochinel, autant d’autres passages me paraissent artificiels, voire complaisants.

La mise en scène de Régis Rossotto ne me convainc pas totalement non plus. Ceci dit, et c’est à mettre à son crédit, je trouve ce jeune homme très ambitieux de s’attaquer à cette pièce, qui est très difficile à diriger et à faire interpréter. Dans ces temps de médiocrité galopante, au moins il ne cède pas à la facilité du consensus mou. Mais il a des partis pris qui me laissent rêveur, notamment les fréquents « face public » des deux amoureux (le comble : « Je peux t’embrasser, peut-être ? » de Lui adressé aux spectateurs !), les quatre déplacements de Lui pour écouter le message enregistré d’Elle… N’empêche, le jeune metteur en scène fait preuve de beaucoup d’imagination, de rigueur et de précision. C’est un premier travail de qualité.

Concernant Jennifer Cafacci (Elle), par moments, je suis cloué sur place par son jeu, ses yeux et son sourire scotchants de beauté, de candeur, de générosité et de malice ; et à d’autres moments, aiguillonnée sans doute par le trac, elle en fait trop, elle en rajoute, elle passe en force, elle nous soumet à un jeu appliqué, académique. Quant à Claude Attia (Lui), c’est presque l’inverse : d’une part, trop sobre, trop pudique, comme s’il avait peur de se brûler, comme un trouillard du sentiment un peu coincé ; d’autre part, parfaitement juste dans des scènes difficiles, notamment celle des « a ». À dire vrai, l’Histoire des ours pandas me paraît une œuvre particulièrement rêche pour des comédiens et rétive à une interprétation approximative.

De son côté, Valérie Foury encage joliment les acteurs de ses lumières, qui les cernent avec intelligence de bout en bout.

En fait, le reproche majeur que j’adresse à ce spectacle, c’est le manque de flamme dans le jeu, et peut-être dans la mise en scène. J’aimerais tant que les rapports entre Elle et Lui rougeoient de leur incendie passionnel, pour faire flamber des répliques telles que « C’est moi, ce silence qui te caresse ».

N’importe ! Cette Histoire… est riche de ses potentialités. Tout ça va se régler (ils n’en sont qu’à leur sixième représentation, après tout), les boulons vont se resserrer, les rapports vont s’huiler et la tendresse va être portée à incandescence. 

Vincent Cambier


l’Histoire des ours pandas racontée par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort, de Matéï Visniec

Cie de l’Homme‑au‑Nez‑Rouge • Maison IV‑de‑Chiffre • 26, rue des Teinturiers • Avignon

Tél. 06 89 30 74 90

Courriel : ciehommenezrouge@no-log.org

Mise en scène : Régis Rossotto

Avec : Claude Attia et Jennifer Cafacci

Création lumières : Valérie Foury

Bande sonore : Olivier Montoro

Théâtre des Halles • rue du Roi‑René • Avignon

Tél. 04 90 85 52 57

Réservations : 04 32 76 24 51

www.theatredeshalles.com

Jeudi 14 avril 2005 et vendredi 15 mars 2005 à 20 h 30

Tarifs : 15 €, 12 € et 10 €

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