Poésie urbaine
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Pour qui connaissait du Komplex la restitution aux habitants des images urbaines sur les murs de leur ville à dos de camion et dans une foule bigarrée, cet « Immobile » a de quoi surprendre. Voici une logorrhée poétique soigneusement mise en scène, en lumières et en son. Beau mais froid.
Froid, rien de plus logique puisque, parti d’une performance, durant laquelle Stéphane Bonnard s’est tenu immobile longuement sur le parvis de la Défense, le texte qu’il a écrit est une litanie de phrases et de sons sur l’inhumanité des villes. Notamment celles qui abritent les robots des affaires. Donc, tout est froid. Les dalles de marbre, les passerelles de verre, les filins d’acier, les hommes au cœur de pierre, réduits à un matricule, même pas, à un badge, une puce, qui les désigne, les distingue et, probablement, les ronge de l’intérieur. À côté d’eux, des êtres en uniforme contrôlent. Dans un autre espace-temps, tôt le matin ou tard le soir, les frôlant, des créatures au teint sombre s’agitent.
Stéphane Bonnard signe ce monologue découpé en petites séquences rythmées par des jeux de lumière d’une extrême précision et d’une étrange beauté créés par Yoann Tivoli. Ce travail des lumières mérite qu’on s’y attarde. C’est sans doute le témoin de la longue histoire du Komplex, de son expérience pour sculpter l’espace. Ici, en microcosme, l’habile artiste réussit le même tour de force avec le décor (de simples étais d’acier sur le plateau nu, comme des tours, ou des cloisons, ou des angles de rues) ou avec le personnage.
C’est Stéphane Bonnard qui l’interprète, avec beaucoup de virtuosité, puis progressivement les interprète, eux, les autres, comme s’il s’imprégnait de ce qu’il perçoit. Une incorporation qui peu à peu semble l’intoxiquer au point que le corps, longtemps évacué, caché en tout cas derrière les uniformes, les costumes, se met à émettre des pustules, des boutons, à s’asphyxier. De nouveau, Yoann Tivoli fabrique tout un langage parallèle à celui de l’auteur. Ce dernier apparaît en ombre chinoise, puis en pleine lumière, puis en homme-tronc, tout le reste de son corps et son environnement plongés dans le noir.
Silence, la ville tue
Comme nous sommes dans un monde où la communication rend tout incommunicable, Stéphane Bonnard nous parle à travers deux micros : un micro serre-tête et un sans fil à main. La voix qui nous parvient amplifiée émet un son bizarrement artificiel. Normal pour un humanoïde… Elle passe du chuchotement presque incompréhensible à une saturation désagréable. Pas de doute, Orane Duclos est maîtresse dans l’art du son. Les nuances de la voix sont accompagnées de bruits furtifs, glissants, ou s’entrechoquant, bruits numériques, bruits qui suggèrent les moteurs au loin, pas qui frappent le sol de manière mécanique, toc toc toc.
Bref, tout cela est très (trop ?) bien fait, minutieusement et à la virgule près. Et ce qui est audible du texte, très métaphorique et un rien mystérieux, offre de belles images de paysages urbains, des souvenirs d’herbe tendre parfois, des regards sur une humanité monstre qu’on a peu envie d’aller voir de plus près. Une performance sûrement. ¶
Trina Mounier
l’Immobile, de Stéphane Bonnard, KompleX KapharnaüM
À partir de 15 ans
Auteur et interprète : Stéphane Bonnard
Compositeur et interprète : Marc‑Antoine Granier
Collaboration artistique : Alexandre Plank
Scénographie et création lumières : Yoann Tivoli
Régisseur lumières : Yoann Tivoli et Alix Veillon
Régisseuse son : Orane Duclos
Chorégraphe : Géraldine Berger
Styliste : Mö de Lanfé
Diffusion : Marion Gatier
Photo : © Vincent Muteau
Coproduction : Théâtre Nouvelle Génération-C.D.N. de Lyon
Avec le soutien de Théâtre Ouvert, Centre national des dramaturgies contemporaines, et de la région Île‑de‑France dans le cadre de l’Épat (École pratique des auteurs de théâtre)
Avec le soutien de la S.A.C.D. à l’auteur
Avec le soutien de la fondation d’entreprise Syndex
L’Immobile a reçu l’aide à la création du Centre national du théâtre
KompleX KapharnaüM est une compagnie conventionnée, soutenue par le ministère de la Culture et de la Communication-Drac Auvergne – Rhône‑Alpes et la ville de Villeurbanne
Les Ateliers • 5, rue du Petit‑David • 69002 Lyon
04 72 57 15 15
Du 7 au 11 février 2017 à 20 heures
Durée : 1 heure
De 5 € à 18 €