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« Lucrèce Borgia », de Victor Hugo, Athénée ‑ Théâtre Louis‑Jouvet à Paris

Lucrèce Borgia © Nicolas Joubard

Hugo, êtes‑vous là ?

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups

La belle salle à l’italienne de l’Athénée livre son plateau à un « Lucrèce Borgia » plus forain qu’hugolien, parfois théâtral, souvent foutraque. Mais, joie : Marina Hands et Julien Gosselin à l’affiche !

Faquin pendu par les pieds, éventré, tripes à l’air, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire : le drame débute dans le sang, à Venise au xvie siècle. Il se poursuit au bal. La criminelle Lucrèce Borgia (la donzelle est fille du pape, sans être franchement une sainte : elle a assassiné la moitié de sa famille et quelques-uns de ses proches) invite et séduit des jeunes gens. L’un d’eux, Gennaro (Nino Rocher), est son fils, qu’elle a abandonné. Lui-même ignore qui se cache derrière le masque. Il s’en éprend pourtant avant d’apprendre qu’elle est Lucrèce aux mains tachées de sang ; Lucrèce aimante aussi, qui le couvre d’un amour maternel et secret. Le beau Gennaro, jouet d’un destin qui le ballotte, revient adulte dans les rets de Lucrèce sa mère, malheureuse héritière au sort scellé, poussée au vice par un mal héréditaire : les ressorts du drame sont armés. Toile de fond : Venise et Ferrare, l’Italie sanglante, veule et renaissante.

Pour en rendre compte sur la petite scène de l’Athénée, un décor « baroque » voulu décadent, rehaussé de loupiotes. Des échafaudages de part et d’autre font ici office d’architecture instable, escaladée à l’occasion. Au fond, un mur de végétation évoquant les palais et leurs jardins ; des lustres tombés des cintres et une guirlande lumineuse qui dessine au centre un « Borgia » de fête foraine. Un détail, récurrent dans la scénographie actuelle, aussi : une omniprésente tête de cerf empaillée (oui, elle est partout ; un tic, comme la sonorisation au micro et les guitares électriques saturées), ici suspendue aux échafaudages.

De cette atmosphère à mi-chemin de l’univers forain et du palais gothique, Lucie Berelowitsch tire un spectacle sans unité, difficilement tenu par la seule vigueur des interprètes et la force interne du style. Car en dépit de ses grosses ficelles, ce drame romantique mécanique, inéluctable et tragique, repose sur un contexte historique massif, des personnages denses, aux caractères entiers. Ils offrent une belle matière dramatique.

Sur scène, uniquement des hommes à l’exception de Lucrèce. Dans cette atmosphère virile, parfois gaillarde, voire braillarde, Julien Gosselin se distingue par un jeu solide et sans affèterie. Il interprète Jeppo Liveretto, avec consistance. Marina Hands, seule femme à bord, enfin sur scène, endosse le rôle difficile de la mère sanguinaire partagée entre des soifs de vengeance et des élans protecteurs. Elle parvient à composer un personnage ambivalent, sans dissonances. Dan Artus adopte un registre à franc contre-pied de l’ensemble, qui n’est pas pour déplaire : avec une exagération burlesque, il fait de Don Alphonse, époux de Lucrèce, un maniaque inquiétant, inquiet et risible.

Le décor et la scénographie l’accompagnent alors, dans ce même registre inattendu : une chaise bancale en guise de trône fixée sur des vieux tapis, des coupes de pacotille. Peut-être les effets lumineux et sonores, présents çà et là, employés plus largement afin de creuser cette veine bouffonne, auraient-ils insufflé l’air de fête et d’orage, le ressort spectaculaire, qui manquent à ce Lucrèce Borgia ? En l’état, trop désordonné pour être dramatique et hugolien, trop affecté pour être orgiaque, le spectacle demeure inoffensif. Toc, toc, toc : Hugo, êtes‑vous là ? 

Cédric Enjalbert


Lucrèce Borgia, de Victor Hugo

Mise en scène : Lucie Berelowitsch

Avec : Dan Artus (Don Alphonse), Guillaume Bachelé (Maffio Orsini), Antoine Ferron (Ascanio Petrucci), Jonathan Genet (Don Apostolo Gazella), Julien Gosselin (Jeppo Liveretto), Marina Hands (Lucrèce Borgia), Thibault Lacroix (Gubetta), Nino Rocher (Gennaro), Boris Sirdey, Élie Triffault (Oloferno Vitellozzo)

Assistanat à la mise en scène et conseil dramaturgique : Kevin Weiss

Musique : Sylvain Jacques

Scénographie : Kristelle Paré

Conseil chorégraphique : Nasser Martin Gousset

Lumières : Sébastien Michaud

Costumes : Caroline Tavernier

Photo : © Nicolas Joubard

Production : Cie Les 3 Sentiers

Coproduction les producteurs associés de Normandie : le Trident-scène nationale de Cherbourg-Octeville, le Préau-centre dramatique régional de Basse-Normandie, Théâtre des Deux‑Rives-centre dramatique régional de Haute‑Normandie, Comédie de Caen-centre dramatique national de Normandie, et le centre dramatique régional de Tours

Avec l’aide à la production dramatique de la Drac Basse-Normandie, de la région Basse-Normandie et du conseil général de la Manche

Avec le soutien de la Spedidam et de la ville de Cherbourg-Octeville

Avec la participation artistique du Jeune Théâtre national et du Théâtre national de Bretagne

Coréalisation : Athénée ‑ Théâtre Louis‑Jouvet

Athénée ‑ Théâtre Louis‑Jouvet • square de l’Opéra ‑ Louis‑Jouvet, 7 rue Boudreau • 75009 Paris

Métro : Opéra, Havre‑Caumartin

R.E.R. A, Auber

www.athenee-theatre.com

Réservations : 01 53 05 19 19

Du 2 au 19 octobre 2013 à 20 heures, relâche les lundi et dimanche, matinée exceptionnelle dimanche 13 octobre à 16 heures

Durée : 2 heures

32 € à 7 €

Tournée :

  • Les 5 et 6 novembre 2013 au Théâtre des Deux-Rives (Rouen, C.D.R. de Haute-Normandie)
  • Le 5 décembre 2013 au Préau (C.D.R. de Vire)
  • Les 11 et 12 décembre 2013 à la Comédie de Caen (C.D.N. de Normandie)
  • Du 4 au 9 février 2014 au Théâtre national de Nice (C.D.N. Nice-Côte d’Azur)

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