« Macadam Cyrano », à partir de « Cyrano de Bergerac » d’Edmond Rostand, 19 septembre 2009 à 16 heures, métro Pernety à Paris

Macadam Cyrano © les Batteurs de pavé

Quand le théâtre retourne à la rue

Par Lise Facchin
Les Trois Coups

« Cyrano de Bergerac », passe sans dissonance du registre classique à celui du théâtre de rue. La sublime histoire de ce père de cœur pour tous les marginaux, « poète, bretteur, musicien, grand riposteur du tac au tac » est portée à la rue par les Batteurs de pavé, une troupe suisse dont l’énergie, la générosité et l’extravagance ont conquis le public le plus difficile qui soit : les chalands, ceux qui passent par là sans savoir et qui, intrigués, s’arrêtent… pour ne repartir qu’à la fin du spectacle. Drôle, généreux et reposant.

Le rendez-vous : une petite place dans le troisième arrondissement de Paris. Un peu reculée, silencieuse et vaste, elle offrait un décor parisien de choix avec quelques boutiques fermées, un ancien mur de couvent médiéval, quelques façades haussmanniennes arborant leur balcon de fer forgé. Un cadre rêvé pour du théâtre de rue. Mais, diable, comment vont-ils s’en sortir pour transposer une pièce aux multiples lieux et atmosphères tels qu’ils sont composés dans le chef-d’œuvre de Rostand ? Devant les quelques spectateurs qui se sont déplacés pour l’occasion, on balaie la chaussée. « Asseyez-vous ! On a balayé de ce côté-là ! ». Nous nous exécutons. Sur l’espace dessiné par notre demi-cercle, un escabeau, deux ou trois rapières… et c’est marre ! En voilà une économie de moyens ! Et c’est avec ces maigres éléments que la compagnie les Batteurs de pavé a su donner à Cyrano de Bergerac une place que l’œuvre n’avait jamais eue : celle d’un théâtre accessible à tous.

Si les comédiens m’ont semblé inégaux, la mise en scène pétillante et sans cesse surprenante, piquée de cabrioles inattendues et de combats d’épée époustouflants, est indéniablement une réussite. Notre concentration, certes un peu bousculée, n’est jamais mise à mal, et les ressources du spectacle sans cesse renouvelées ne nous lassent pas : ni temps morts ni longueurs. Pourtant, je dois avouer que, si une certaine forme de grivoiserie un peu farcesque genre je-tire-la-langue-et-je-ris-grassement m’a semblé en trop à quelques reprises, je l’ai tout de même accueillie avec une forme de bienveillance. Et, vous pouvez me croire, j’en suis assez étonnée : mon naturel m’inclinant à la critique acerbe au moindre cas d’inélégance non justifiée. Peut-être dois-je cette indulgence au plaisir de partager qui se dégage du spectacle, et à la malice qui scintille sans relâche dans les yeux des comédiens.

Bien sûr, il s’agit d’une véritable adaptation. Le spectacle s’intitule d’ailleurs avec honnêteté : Macadam Cyrano. On y délaisse souvent les alexandrins, on y ajoute des scènes. Des situations presque brechtiennes et des répliques abruptes malmènent un peu le spectateur tout en le maintenant éveillé, donc actif. Car on s’y déplace aussi. Les actes se déroulent dans des coins différents de la place et, tandis que le premier s’achève, le second se prépare dans le dos du public. Un peu étonné, il se lève à l’invitation des comédiens pour se rendre là où l’attend déjà une nouvelle péripétie.

L’écriture de Rostand, malgré tout, est infiniment respectée. Moi, dont un seul de ces vers me fait frémir, je n’ai pas senti frétiller d’indignation la moustache qui me serait poussée pour l’occasion. Bien au contraire. Dans les yeux des jeunes gens assis autour de la scène, de plus en plus nombreux à mesure que le spectacle avançait, j’ai vu du plaisir. Un plaisir que n’aurait jamais pu apporter, me semble-t-il et sauf vot’ respect, aucune mise en scène de la Comédie-Française. Un plaisir simple et ludique qui faisait éclater de rire les adolescents, prétendument réfractaires à toute sorte de poésie… Mon œil !

Alors, certes, la grande tragédie devient prétexte à comédie, et l’on ne peut dire : qui a vu Macadam Cyrano a vu Cyrano de Bergerac. Mais qu’importe. C’est du théâtre que l’on a vu. Et c’est du théâtre qui a conquis le cœur d’un public qui passait par là, et qui a repris son chemin avec quelque chose en plus : du rire, de la poésie et quelques grammes de rêve. 

Lise Facchin


Macadam Cyrano, à partir de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand

Mise en rue : Manu Moser

Avec : Caroline Althaus, Renaud Berger, Laurent Lecoultre, Yannick Merlin, Mathieu Sesseli

Photo : © les Batteurs de pavé

Samedi 19 septembre 2009 à 16 heures au métro Pernety (ligne 14)

Durée : 1 h 40

Spectacle gratuit

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