« Macbeth », de Shakespeare, Théâtre du Point‐du‑Jour à Lyon

« Macbeth » © D.R.

Brut et furieux

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Après la trilogie Molière au dernier trimestre 2013, Gwenaël Morin et son Théâtre Permanent s’attaquent à Shakespeare. Premier acte de cette nouvelle trilogie : « Macbeth », une paranoïaque traversée théâtrale à souhait déjantée, présentée au Théâtre du Point-du‑Jour à Lyon, du 8 janvier au 8 février 2014.

Commençons de façon inhabituelle mais nécessaire, avant d’en venir au spectacle Macbeth, par rappeler aux spectateurs qui ne connaissent pas encore la démarche de Gwenaël Morin quels sont les éléments de base de son travail théâtral. Engagé depuis des mois dans une exploration vorace, à rebours de la chronologie, des grands auteurs et textes qui ont marqué l’histoire du théâtre, Gwenaël Morin insuffle sans aucun doute un formidable coup de jeune (et de pied !) à la mise en scène telle qu’on la conçoit généralement.

Jean Anouilh, Rainer Fassbinder, Molière sont déjà passés, plutôt très bien, au tamis survitaminé de ses propositions hardies où dominent la spontanéité, la qualité des comédiens, l’absence délibérée de scénographie, le choix implacable de costumes-oripeaux, d’accessoires de vide-grenier et de percussions primaires. À cela s’ajoutent de son côté l’envie de bousculer les relations entre théâtre et spectateurs, du nôtre le plaisir de voir se construire le théâtre sous nos yeux, la délectation d’assister en complice à quelque chose qui va, qui est en train de devenir spectacle avec trois bouts de ficelle, mais beaucoup d’imagination et de talent.

Maintenant Macbeth. Régicide, meurtre de l’ami, infanticide, guerres farouches, violente passion amoureuse et délires surnaturels composent le tragique menu d’une pièce en cinq actes saccadés. Macbeth et son épouse tentent de régner sur un monde de meurtriers, de traîtres, de comploteurs et de superstitieux. Pour lui, la tentative désespérée d’assumer le mal lié à sa volonté de puissance et de maîtriser sa main criminelle qui tremble. Pour elle, la jouissance démoniaque d’être le Pygmalion de son homme qu’elle rêve en tyran et celle de culbuter les valeurs morales régnantes. Voici donc venu le temps des assassins, capables de passer à l’acte et incapables d’en endosser la responsabilité. Transposée dans notre époque contemporaine récente, le sanglant parcours de Macbeth et de sa femme fait écho aux horreurs d’Hitler et Eva Braun ou des Ceaușescu.

Distance ou pied de nez ?

De ce brutal et furieux contenu, Gwenaël Morin tire une réalisation qui continue d’exciter notre curiosité, mais qui incite à lui poser quelques questions. S’impose comme la sensation que tout son travail est passé au crible de la dérision. Distance ou pied de nez ? Humilité devant l’impressionnante saga shakespearienne ou volonté de lui régler son compte ? Autocritique courageuse ou panne partielle d’imagination ? Choix d’un théâtre hérité d’Alfred Jarry ou manque de temps de travail ? Ces quelques interrogations perturbent la représentation, lui conférant un rythme tumultueux, comme si les chaos de l’histoire construisaient fatalement l’histoire d’un chaos théâtral.

Pourtant dans ce Macbeth, où l’on entend moins bien le texte que d’habitude (fatigue de l’élocution chez certains comédiens ?), il y a quelques belles pépites théâtrales à retenir. Nathalie Royer d’abord, formidable virtuose des exigences de la dramaturgie de son metteur en scène, incarne avec rigueur engagement physique et humour toute une galerie de personnages. Tour à tour chef de chœur, percussionniste, bruiteuse, sorcière, vieillard, portier, dame de compagnie, assassin ou jeune héritier, elle insuffle au spectacle rythme et clarté. Virginie Colemyn ensuite, fascinante Lady Macbeth, mi-clown sarcastique, mi-sorcière suicidaire, compose une criminelle oscillant entre l’hystérie démonstrative et la démence mutique. Thomas Poulard aussi, envoûtant Banco, dont le talent subtil brosse le portrait d’un roué cruel. Ses réapparitions au banquet de ceux qui l’ont exécuté sont un temps fort du spectacle : seul au milieu des chaises abandonnées par ses meurtriers, il condamne d’un sourire ironique Macbeth, que cette espèce de fantôme panique. Pierre Laloge enfin, insolent Malcolm, interprète avec un juvénile cynisme l’arrogance destructrice d’une nouvelle génération assoiffée de pouvoir.

Et Macbeth, le rôle-titre ? Visiblement, Renaud Bechet, excellent comédien au demeurant, a manqué de temps de répétition pour ce rôle écrasant. Mais ce qu’il offre déjà s’épanouira au fil des représentations. Son infantile et têtu Macbeth, en chemise écossaise et sans pantalon, pathétiquement grimé ou maculé de sang, contient déjà les prémices d’un personnage impressionnant, privé de tout repère et qui sombre peu à peu dans une paranoïa dévastatrice. Lorsqu’elle aura mûri, cette interprétation nietzschéenne de Macbeth marquera.

Parvenu à Shakespeare, Gwenaël Morin convainc un peu moins avec Macbeth, mais il n’entame en rien l’envie de continuer l’aventure quand viendront ensuite Othello puis le Roi Lear

Michel Dieuaide


Macbeth, de William Shakespeare

Traduction : Julie Étienne et Joris Lacoste

Mise en scène : Gwenaël Morin

Avec : Renaud Bechet, Virginie Colemyn, Marion Couzinié, Mickael Comte, Pierre Germain, Barbara Jung, Pierre Laloge, Benoît Martin, Thomas Poulard, Maxime Roger, Nathalie Royer

Production : Théâtre Permanent

https://www.lepointdujour.fr/

Théâtre du Point‑du‑Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon

Pas de réservation, 5 € pour tous, pass Shakespeare 20 €

Tél. 04 72 38 72 50

Représentations du 8 janvier au 8 février 2013, du mardi au samedi à 20 heures

Durée : 2 h 30

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