« Madame Raymonde », Vingtième Théâtre à Paris

« Madame Raymonde » © Philippe Matzas

P… de show !

Par Franck Bortelle
Les Trois Coups

Génie de la scène dans toutes les acceptions du terme, de la scène de ménage à la grande, celle de la vie, dont il nous offre une sacrée tranche, Denis d’Arcangelo est, durant deux heures, une Madame Raymonde truculente et drôle, poétique et émouvante, mélange aussi étonnant que détonant d’Arletty, Gréco, Mistinguett et la concierge de votre immeuble. Attention, performance !

Engoncée dans un tablier digne des meilleures ménagères, lèvres rouge baiser et perruque impeccable, elle arrive sur la Cène. Apôtre du quant-à-soi et de l’élégance, de la gouaille bellevilloise et du verbe cru, elle se sert deux verres de vin. Sans tambour ni trompette et surtout sans prière (entendez : sans se faire prier), elle trinque et se les siffle cul sec l’un derrière l’autre. Le sang du Christ est honoré. Amen !

Le nectar de Bacchus sera durant deux heures le fil conducteur (pour ne pas dire le fil rouge…) de ce show aussi étonnant que détonant. Car Madame Raymonde, c’est un peu Arletty, un peu Berthe Sylva, un peu la Gréco, un peu la Pougachova 1. Ni la langue dans sa poche, ni les deux pieds dans la même godasse. Vitupérant contre toute forme de connerie humaine, faisant de tout signe extérieur de bêtise son cheval de bataille, elle vitupère, vocifère, harangue. Bref, du rentre-dedans comme on n’en fait plus.

Mais, surtout, elle chante. Ah, oui, j’oubliais : elle aurait aussi aimé être une artiste. Chanter, pour elle, c’est une seconde nature. Hélas, la charcuterie parentale, où son art de couper les rillettes était inimitable, lui a volé ses rêves et, comme elle dit : « Elle a beaucoup sacrifié au cochon, vous savez ? »…

Bien sûr, la cible préférée de cette brave dame reste, à l’instar des chanteuses réalistes des années 1940, ces « mémères décorées comme des arbres de Noël » chères à Brel, ces poules de luxe aux bouches en cul-de-poule qui, par cette singularité anatomique des lèvres, ne peuvent plus prononcer certains vocables nécessitant un degré normal d’aperture buccale.

Donc, elle chante. La java, bien sûr. Pas celle des bombes atomiques ou la bleue : LA java, celle sur laquelle les femmes de michetons essayent de piquer les julots de ces dames de la rue. Mais aussi Gainsbourg, Aznavour, Scotto, Vian et bien d’autres.

Mais quand on chante dans sa maison ou dans sa cage d’escalier, on se la joue cool, tranquille. On s’arrête, on balance une ou deux gifles verbales bien senties et on repart. On appelle ça l’art de la digression…

C’est bien sûr l’agencement de ces sorties de route contrôlées avec la prestation chantée (époustouflante) qui contribue à la totale réussite de ce show. Car une chanson de trois minutes, elle vous la pousse à dix, voire quinze ! Sans faire du remplissage, elle remplit. Le temps, la scène, la salle ! Parce que rien n’est assez suffisant pour donner au public ce qu’il vient voir et entendre : du rire, de la bonne humeur, de l’émotion (écoutez la sublime chanson Vieille lune de Bilbao), du talent. Oui, du talent. Ce gros plus qui s’ajoute à un travail considérable qui sait se faire oublier parce que le naturel prend le dessus.

Accompagné par un zigue au piano à bretelles particulièrement doué, un drôle de Zèbre (c’est son surnom), avec lequel il réalise de véritables numéros de duettistes, Denis d’Arcangelo, méconnaissable sous le Rimmel et la perruque, tient haut la chanson de qualité dans un show populaire à voir et à revoir. 

Franck Bortelle

  1. Alla Pougachova : chanteuse russe très populaire qui s’est illustrée et continue à s’illustrer par un franc-parler jusque dans les hautes sphères du Kremlin, puisqu’elle tint la dragée haute à Brejnev dans les années 1970 pour défendre la cause d’un dissident.

Madame Raymonde

Mise en scène : Denis d’Arcangelo et Philippe Bilheur

Avec : Denis d’Arcangelo, Sébastien Mesnil (à l’accordéon)

Lumières : Célio Ménard

Photo : © Philippe Matzas

Vingtième Théâtre • 7, rue des Plâtrières • 75020 Paris

Réservations : 01 43 66 01 13

Du 31 janvier au 2 mars 2008, du mercredi au samedi à 19 h 30, le dimanche à 15 heures

Durée : 1 h 50

22 € | 17 € | 12 €

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