« Marx matériau », Théâtre du Périscope à Nîmes

Marx matériau © Marc Ginot

Par les temps qui courent

Par Fatima Miloudi
Les Trois Coups

Avec pour slogan de la saison 2008-2009 « L’art est une arme de construction massive », le Théâtre du Périscope, à Nîmes, affiche sa couleur militante. C’est pourtant dans l’espace intimiste et convivial d’une scène aux allures à la fois de salon et de salle de classe que la pensée de Marx va se déployer. « Marx matériau / celui qui parle (extension) » est une pièce engagée qui témoigne de la permanence d’une analyse économique et de sa troublante actualité.

Une dame, forte de son savoir, pensait que la Terre, plate de toute évidence, reposait sur une colonne de tortues. Un philosophe, fier d’avoir conquis, de haute lutte, des connaissances qui l’élevaient au-dessus de la masse inculte, se noie dans un fleuve impétueux, faute d’avoir eu le souci d’apprendre à nager. Entre ces deux dogmes sous forme de plaisanteries philosophiques, le spectateur va assister à l’examen et à la mise à nu de la croyance capitaliste. Entre un discours théorique et des pauses ironiques révélant toute la cruauté d’une doctrine, le public est amené a disséquer les rapports de l’argent et de l’homme. « Les pensées de la classe dominante sont aussi à toutes les époques les pensées dominantes » (Marx). Place de la Terre, place du savoir, place de l’argent : des histoires drôles. Si seulement…

Gagner le spectateur à un discours trop entendu et dévoyé par les faits historiques de notre temps est la gageure à laquelle se prêtent le comédien Luc Sabot et le metteur en scène Jacques Allaire. Pour ce faire, on entre sur la scène comme en terrain ami. On dépose son manteau aux patères. On s’installe comme on peut : qui sur un banc, qui sur une caisse rehaussée d’un coussin, qui encore sur un canapé de velours vieilli. Les verres circulent, et le vin de la convivialité nous rassemble autour d’un penseur effréné, porté par le désir de comprendre les rouages de la pensée libérale. Le texte, celui de Marx, duquel on a retranché tout un arsenal de mots devenus caricaturaux et auquel on a ajouté des références au monde actuel, garde toute sa modernité. Dans le contexte financier qui est le nôtre, il frappe par sa durable pertinence.

Le personnage, entraîné par l’expansion de sa pensée, oscille entre état de recueillement et frénésie de démonstration. Tantôt, il s’installe et, à la lueur d’une lampe, de manière confidentielle, nous entraîne dans ses lectures ; tantôt il court d’un espace à l’autre, écrivant ses formules aux quatre coins de la salle. Un tableau, véritable tableau gigogne n’en finit plus d’offrir le foisonnement de sa pensée. Le comédien nous permet de suivre le cheminement d’une réflexion critique. Peut-être la rapidité du débit, qui image la promptitude du raisonnement, perd-elle un moment le spectateur. Mais le choix de mise en scène oblige à une attention soutenue. Pièce engagée, elle commande une attention au texte.

Le jeu de l’acteur est rêche. Seul pour nous communiquer l’élan d’une conviction, il joue des diverses attitudes du penseur et en étend toutes les possibilités : quelquefois dans le repli de la pensée, quelquefois tel un scientifique fou écrivant les équations d’aliénation des hommes, quelquefois prenant à témoin l’un ou l’autre des spectateurs. Durant une heure et quart, il nous met en contact avec l’intelligence d’un homme qui, au-delà des constats des rapports économiques, engageait à plus d’humanité. Quoi qu’il en soit des convictions de chacun, c’est à un regard à hauteur d’homme à laquelle le comédien aussi nous convie.

Après les applaudissements mérités, Luc Sabot a retrouvé les spectateurs. Dans une atmosphère cordiale s’est engagée une discussion sur l’étonnante modernité de la pensée de Marx, que l’on a appris à méjuger à l’aune de la déformation que les régimes politiques lui ont fait subir. La pièce en est à sa 70e représentation. C’est peut-être à la Religion du capital de Paul Lafargue que le comédien rêve de s’atteler à présent. 

Fatima Miloudi


Marx matériau / celui qui parle (extension), de Jacques Allaire et Luc Sabot

Production : Théâtre des Treize-Vents-C.D.N. de Montpellier – Languedoc-Roussillon

Mise en scène et scénographie : Jacques Allaire

Avec : Luc Sabot

Photo : © Marc Ginot

Théâtre du Périscope • 4, rue de la Vierge • 30000 Nîmes

Réservations : 04 66 76 10 56

Jeudi 15 janvier 2009 à 19 heures, vendredi 16 janvier 2009 à 20 h 30

Durée : 1 h 15

12 € | 9 €

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