« Meaulnes (et nous l’avons été si peu) », d’après le roman d’Alain-Fournier, Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté

« Meaulnes (et nous l’avons été si peu) » de Nicolas Laurent © Elisabeth Carecchio

À la recherche du bonheur perdu

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Réjouissante chasse au trésor sur les traces d’Alain-Fournier, l’enquête théâtrale menée par Nicolas Laurent dans « Meaulnes (et nous l’avons été si peu) » multiple les jeux d’écho avec les personnages, sans tricher avec la mélancolie.

Que nous reste-t-il du Grand Meaulnes, le roman d’Alain-Fournier nimbé d’une aura d’amour et d’aventure ? D’abord une amitié entre garçons. Puis, une fête sentimentale, nautique et carnavalesque dans un château perdu aux confins d’une forêt. En vérité, ce ne sont là que les cent premières pages. Le reste de l’intrigue tombe souvent dans l’oubli. Serait-ce en raison de sa tonalité plus sordide, moins romantique, comme une gifle du réel ?

S’appuyant sur cette mystérieuse lecture lacunaire, le metteur en scène Nicolas Laurent choisit d’exposer littéralement sa vision de l’œuvre et les rouages de son métier. Son théâtre documentaire ose exhiber une subjectivité toute mélancolique, une élégante obsession teintée d’humour.

Cette déconstruction jouant sur les ruptures de ton, la vidéo et l’intrusion de la figure du metteur en scène constituent sa marque de fabrique. Dans Les Événements récents, déjà, il teintait d’humour un sujet grave – le suicide de la secte fondée par Jim Jones. Ici, il s’attache d’abord aux personnages. Mais rapidement, patatras ! il démâte. « OK, on démonte ! » Le décor est remisé.

Il nous entraîne dans une enquête métathéâtrale où névroses et sincérité font mouche. Le titre le confesse : Meaulnes, nous le serons bien peu. Heureux, guère davantage. Nous suivons donc le narrateur François Seurel, le garçon qui reste sur le côté et essuie les plâtres, dans l’ombre de l’aventurier Augustin Meaulnes, l’incarnation de la liberté égoïste. Nous marchons aussi sur les pas de Franz le bohémien, amoureux éconduit qui soigne son chagrin avec l’art dramatique, un alter ego qui tente de survivre et d’aller de l’avant. Les femmes sont ici insaisissables. Et si elles s’incarnent enfin, comme Yvonne de Galais, la déception du réel les engloutit. Karaoké et boule à facettes ridiculisent la solennité des retrouvailles amoureuses.

Triangles amoureux

Trop verdoyante pour être vraie, la mousse encombre dans un premier temps le plateau. Elle se fait berceau des rêveries de François et sublime Meaulnes, incarné par le tellurique Max Bouvard. Surtout, elle gêne les déplacements des personnages engloutis dans une atmosphère onirique, presque irénique, si ce n’est le sous-bois brumeux au lointain. La vidéo boisée, presque noir et blanc, nous tire vers un fantastique presque angoissant. En fait, Nicolas Laurent n’a gardé de la trame romanesque évanescente que les désirs triangulaires entre ses jeunes héros, autant d’épigones de lui-même qu’il pose courageusement sur le plateau, aux côtés de sa figure fragile et ironique de grand ordonnateur.

Dès que cette mousse décorative se trouve remisée sur le côté, à vue, comme un résidu encombrant des illusions de l’enfance et de l’amour idéal, tout devient fort. Le spectacle dévoile ses coutures. C’est alors la grande aventure de la langue, du territoire et du travail dramaturgique qui s’ouvre à nous.

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« Meaulnes (et nous l’avons été si peu) » de Nicolas Laurent © Elisabeth Carecchio

Poursuivre la quête

Les projections vidéos nous entraînent sur le terrain savoureux de la France périphérique : on découvre les aires d’autoroute où, façon Groland, les automobilistes avouent leur impuissance. Ils n’ont pas lu le livre. La recherche du château sur Google Map ou les décorticages sémantiques sur le logiciel Tropes deviennent des métaphores de l’adulte désenchanté qui refuse toutefois de renoncer. On va continuer, malgré le lac moche, le SMS pourri, le canot en plastique ; on va faire avec le monde ; on va avancer avec le poids du passé et des ratés. Et puis, surtout, on va encore essayer de faire du théâtre. De rêver.

Malgré quelques maladresses, dont cette comédienne qui nous parle candidement de son corps, l’ensemble offre une lecture vivifiante et rythmée en jouant sur les collisions et les échos. La vidéo ne constitue jamais un gadget, mais plutôt un contrepoint savoureux. La rupture de la convention théâtrale, loin du tic chic, ouvre un nouvel univers poétique, entre sublime et grotesque. L’esthétique de la distanciation souligne avec pertinence la rupture centrale du roman. Les adolescents présents dans la salle s’amusent de l’illusion et de l’enquête. Oui, les choses se délitent. Non, on ne pleurera pas.

Voilà donc un Meaulnes contemporain, façon psychanalyse sauvage. Joli feuilletage de lectures. Les dernières images cinématographiques célèbrent l’art comme réparation : elles nous entraînent en surplomb, dans une méditation sur le paysage. Elles chantent la troupe dans une fraternité teintée d’Éros. Merci pour l’espoir. 

Stéphanie Ruffier


Meaulnes (et nous l’avons été si peu), d’après le roman d’Alain-Fournier

Mise en scène : Nicolas Laurent

Avec : Max Bouvard, Nicolas Laurent, Camille Lopez, Paul- Émile Pêtre

Collaboration artistique : Gilles Perrault et Yann Richard

Assistanat à la mise en scène : Amandine Hans

Scénographie : Marion Gervais

Vidéo : Loïs Drouglazet et Thomas Guiral

Son : Cyrille Lebourgeois

Lumière : Jérémy Chartier

Durée : 1 h 30

Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté • Avenue Édouard Droz, Esplanade Jean-Luc Lagarce • 25000 Besançon

Du 15 au 19 janvier 2019

Réservation : 03 81 88 55 11

De 7 € à 20 €


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