« Mélancolie(s) », de Julie Deliquet avec le Collectif In Vitro, Théâtre de la Bastille à Paris

« Mélancolie(s) » de Julie Deliquet avec le Collectif In Vitro © Simon Gosselin

La vie servie sur un plateau !

Par Bénédicte Fantin
Les Trois Coups

Après son triptyque remarqué sur l’héritage de Mai 68 et sa version modernisée d’« Oncle Vania », Julie Deliquet livre une nouvelle création jouissive, avec les membres du Collectif In Vitro : « Mélancolie(s) ». Fusionnant « les Trois sœurs » et « Ivanov » de Tchekhov, elle questionne à nouveau l’héritage familial.

La scène d’ouverture installe une ambiance primesautière et légère. C’est l’anniversaire de Sacha, entourée pour l’occasion de son mari, de sa sœur médecin et de son jeune frère. La fête est toutefois troublée par une mélancolie latente : le père de la fratrie est mort il y a un an, jour pour jour. Le canevas des Trois Sœurs fait ainsi le lien avec le précédent spectacle du collectif qui se terminait sur la mort des parents. Lorsque Nicolas, un ancien ami du père, fait irruption, les scènes se teintent progressivement des angoisses de ce double d’Ivanov. Les failles des personnages jusqu’alors suggérées se révèlent violemment au grand jour.

Les huit comédiens sur scène sont dans le plus pur respect de l’esprit tchekhovien. Ils incarnent des personnages complexes, qui passent du rire aux larmes, des êtres, qui, devant un monde finissant, nourrissent de grands espoirs en l’avenir, mais voient leurs idéaux se heurter au lot de déceptions réservés par la vie.

« Mélancolie(s) » de Julie Deliquet avec le Collectif In Vitro © Simon Gosselin
« Mélancolie(s) » de Julie Deliquet avec le Collectif In Vitro © Simon Gosselin

Outre la virtuosité des interprètes, cette justesse s’explique aussi par le travail préparatoire réalisé avec Julie Deliquet. En demandant à ses comédiens d’improviser avec leurs mots à partir du texte de Tchekhov, ou à l’inverse de « parler tchekhovien » dans des situations réelles (lors de réunions de famille, en milieu hospitalier, etc.), la metteuse en scène invite le collectif à saisir l’écho des mots de l’auteur dans notre monde contemporain. Les interprètes arrivent ainsi sur le plateau avec un historique intime qui enrichit leur jeu. Il en ressort une pièce éminemment actuelle avec des personnages d’une étonnante proximité. L’appropriation du texte par les interprètes le rend limpide pour les spectateurs.

Résonances contemporaines

Le riche travail préparatoire, qui se rapproche parfois d’un travail documentaire, a fait l’objet d’enregistrements vidéo dont un extrait est projeté en préambule de la pièce. On retrouve là le leitmotiv du Collectif In Vitro qui se plaît à abolir la frontière entre le théâtre et la vie. La qualité de la scénographie est au service de cette illusion de réel. Les subtiles variations de lumières et l’envoûtante création musicale nous font glisser d’une saison à l’autre avec une belle fluidité. On a chaud puis on a froid avec les personnages, au fil des saisons et des désillusions successives.

La dimension mélancolique qui colle à l’œuvre de Tchekhov ne doit pourtant pas masquer son potentiel comique. Rappelons que l’auteur russe était persuadé d’écrire des comédies… C’est aussi là toute l’intelligence de la mise en scène du Collectif In Vitro de parvenir à restituer la dérision contenue dans les textes du dramaturge. Le comique de certaines situations et l’idiosyncrasie des personnages suscitent d’ailleurs des rires francs dans le public.

Dans ses correspondances, Anton Tchekhov appelle à un théâtre en prise avec la vie contemporaine et précise toujours en préambule de ses pièces qu’elles se déroulent au présent. En respectant cette indication à la lettre, le Collectif In Vitro offre une création plein de vie, ancrée dans notre présent. Un présent qui se révèle souffrir les mêmes questionnements qu’à l’époque de Tchekhov, que Julie Deliquet résume avec ses mots : « Comment se positionne-t-on dans un monde en train de chuter ? ». 

Bénédicte Fantin


Mélancolie(s), de Julie Deliquet avec le Collectif In Vitro

Mise en scène : Julie Deliquet

Avec : Julie André, Gwendal Anglade, Éric Charon, Aleksandra De Cizancourt, Olivier Faliez, Magaly Godenaire, Agnès Ramy, David Seigneur

Collaboration artistique : Pascale Fournier

Scénographie : Julie Deliquet, Pascale Fournier, Laura Sueur

Lumières : Jean-Pierre Michel, Laura Sueur

Costumes : Julie Scolbetzine

Musique : Mathieu Boccaren

Film : Pascale Fournier

Régie générale : Laura Sueur

Administration, production, diffusion : Cécile Jeanson

Attachée de production et communication : Marion Krähenbühl

Durée : 1 h 50

Photo : © Simon Gosselin

Théâtre de la Bastille • 76, rue de la Roquette • 75011 Paris

Dans le cadre du Festival d’automne à Paris

Du 29 novembre au 22 décembre 2017 à 21 heures et du 8 janvier au 12 janvier 2018 à 21 heures, relâche le dimanche puis tournée

De 17 € à 27 €

Réservations : 01 43 57 42 14


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☛ Derniers remords avant l’oubli, de Jean-Luc Lagarce, par Anaïs Heluin

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