« Mère Teresa », de Joëlle Fossier, Artistic Théâtre à Paris

« Mère Teresa » © Lot

Requiem lourdingue

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

Mère Teresa sera canonisée en septembre 2016 : devenir sainte suppose d’endurer, entre autres épreuves, celle des hommages médiocres.

J’ai une certaine tendresse pour l’auteur qui, s’emparant d’un sujet difficile, se casse la figure. Au moins, il aura tenté l’aventure : tant de pièces de théâtre ont un contenu sans ambition traité par un dramaturge analphabète et des comédiens sans tripes. On ne peut pas dire que ce spectacle soit vide de sens. Le destin de la fondatrice des Missionnaires de la Charité de Calcutta a de quoi intriguer. Et cette gentillette biographie en soixante minutes chrono est plus amusante qu’une page Wikipedia à lire seul chez soi. En outre, la salle de l’Artistic Théâtre est toute petite. On voit donc de très près l’émouvante Catherine Salviat se débattre avec l’indigence d’un texte « pauvre entre les pauvres ».

J’aurais vraiment aimé aimer cette pièce. Mais l’auteur commence par expliquer complaisamment la difficulté d’un projet empli de bonne volonté. Pas facile de retracer en une heure un destin si complexe. Pas facile de parler de Dieu dans un théâtre. Pas facile ? Tiens, c’est drôle : on a déjà entendu ce discours normal dans la bouche d’un président normal. L’actualité prouve qu’un programme bourré de bonnes intentions peut aboutir à un enfer de pavés dans la gueule. C’est à peu près ce qui se passe sous nos yeux.

Aucun poncif ne nous est épargné et chacun nous est jeté à la tête, car oh ! là, là ! Teresa est une rebelle ! Un vrai chemin de croix du cliché. Première station : l’enfance heureuse entre un père et une mère aimants, jusqu’à la mort du papa. « Et là, c’est le drame ! » On se croirait dans Dallas et les Feux de l’amour à qui Joëlle Fossier, qui est aussi comédienne, a souvent prêté sa voix en doublage. Deuxième station : la révolte. Les méchants de la hiérarchie font comprendre à la gentille exaltée que c’est très vilain, la révolte. Troisième station : la crise de foi. Jésus sort de l’écran radar de Teresa mais, ouf, il finit par réapparaître. À propos d’écran… pourquoi diantre cette vidéo de l’Inde, laide et sans nécessité, qui est présente pendant quelques minutes sur les chiffons pendus en toile de fond ? On ne dénoncera jamais assez l’abus de vidéo, ce truc à la mode dans les boutiques pour metteurs en scène en panne d’idées.

Il faut sauver le soldat Teresa

Quand on pense que Catherine Salviat fut une inoubliable Sœur Constance dans les Dialogues des carmélites de Bernanos 1 ! Aujourd’hui, elle fait ce qu’elle peut pour sauver Teresa, qu’elle aime bien, à l’évidence. Mais la différence entre Bernanos et Joëlle Fossier, c’est que le premier était un ravagé du mysticisme alors que la seconde s’évertue à laïciser son personnage pour en faire une assistante sociale politiquement acceptable.

En fin de compte, ce qui manque ici, c’est un peu de théologie. Oh, le vilain mot ! Comme cela fait peur d’employer ce terme, alors que, ma bonne dame, on a guillotiné pour moins que ça, et que les églises sont vides, et que les jeunes n’y comprennent rien et que penser un peu sérieusement risquerait d’ennuyer le public… Qu’on ne s’y trompe pas : pour attirer du monde, un soir de pluie, à un spectacle sur Mère Teresa, il n’y a pas beaucoup d’options. C’est soit la parade à grand spectacle (700 figurants, une superproduction, Calcutta reconstituée grandeur nature sur le plateau du Palais des Sports). Soit la pièce intimiste essayant de décrypter, pourquoi pas sur le mode « la théologie pour les nuls », ce qui fait que Teresa est une sainte de l’Église catholique et non une fonctionnaire de la C.A.F., qui fait très bien aussi, humblement et sans auréole, un travail quotidien d’assistance aux plus démunis.

Crachons le morceau : Teresa est cette femme qui confesse dans ses mémoires, avoir toujours douté de la présence réelle du Christ dans l’hostie de la communion. Décodage en catholangue : elle ne croit pas à la « transsubstantiation », le cœur de doctrine du catholicisme, le sujet sur lequel papistes et protestants s’écharpent depuis des siècles. Là où l’Affaire Teresa devient une histoire folle, c’est que cette religieuse qui doute du dogme central de la foi catholique va bientôt être canonisée par l’Église catholique. À cet égard, il y a un message fort sur lequel Joëlle Fossier nous laisse enquêter seuls puisqu’elle ne s’y intéresse pas.

L’autre domaine dans lequel Teresa, c’est de la bombe, c’est la charité. Cette vertu théologale est effectivement difficile à mettre en scène sans tomber dans la mièvrerie ou l’hystérie. Il existe pourtant aujourd’hui des dramaturges d’obédience catholique, comme Fabrice Hadjadj, qui parviennent, par leur style sobre, imagé et puissamment inspiré, à ce résultat étonnant : donner à voir la charité. On aimerait une rencontre entre Catherine Salviat et de tels auteurs. Sûr qu’on sortirait de la salle en se disant, comme Teresa : « Que personne ne vienne à moi sans repartir meilleur et plus joyeux. » 

Élisabeth Hennebert

  1. Catherine Salviat, molière 1988 du Meilleur Second Rôle, pour son interprétation de Sœur Constance de Saint‑Denis dans les Dialogues des carmélites de Georges Bernanos, mis en scène par Gildas Bourdet.

Mère Teresa, de Joëlle Fossier

Mise en scène : Pascal Vitiello, assisté de François Raüch de Roberty

Avec : Catherine Salviat

Lumières : Mathieu Nenny

Vidéos : Bruno Baccheschi

Costume : Brigitte Demouzon

Photos : © Lot

Artistic Théâtre : 45 bis, rue Richard‑Lenoir • 75011 Paris

Métro : Voltaire (ligne 9)

Du 1er juin au 2 juillet 2016, du mardi au vendredi à 19 heures, samedi à 20 h 30 et dimanche à 15 heures

Tarifs : de 30 € à 10 €

Durée : 1 heure

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