« Ode maritime », de Fernando Pessoa, Théâtre de la Ville à Paris

Ode maritime © Pascal Victor

Ode au son

Par Sarah Bussy
Les Trois Coups

Après son succès à Avignon en 2009, « Ode maritime », du poète portugais Fernando Pessoa, entame une tournée en France débutant ces jours-ci au Théâtre de la Ville de Paris. Un bel exercice théâtral et poétique, dont on aimerait toutefois ressortir plus touché.

Pessoa nous livre ici un texte enchanteur, pure invitation au voyage et au rêve. Un voyage en mer d’abord, loin, très loin au-delà des rivages, mais aussi un voyage intérieur au plus profond de l’âme du poète. Une exploration de son passé, ses souvenirs, son imaginaire surtout. Pessoa, qui n’a pourtant jamais ressenti la nécessité de quitter son berceau lisboète, prend ici la mer pour tracer des chemins dans les paysages introspectifs de l’étendue mémorielle de ses premières années. Un touchant hommage à la mer, à ceux qui la parcourent et n’en ressortent pas, aux travers psychologiques de tout homme. Pour servir ce texte, nous transporter à son rythme, un homme seul, debout sur un ponton métallique. La scénographie, d’une grande sobriété et jouant beaucoup sur les tons et les lumières, reflète à merveille la petitesse de l’homme face à l’immensité de la mer, du vide. Une immensité qui pourrait alors être le public lui-même.

La parole porte le son plus que le sens

Claude Régy et son acteur, Jean‑Quentin Châtelain, ont fait ici un véritable travail d’orfèvre sur le texte, ou devrait-on dire sur les mots, les syllabes, les lettres, pour faire sonner et résonner en nous chaque son comme une fin en soi, comme une note du formidable instrument qu’est la voix. A fortiori celle de Jean‑Quentin Châtelain qui, en se laissant traverser et transformer par le lyrisme rageur du texte, restitue avec une extrême précision l’absolue musicalité du verbe. Ici, la parole porte le son plus que le sens. Une parole étrange, tordue et étirée, aux voyelles allongées, aux consonnes tapées, sifflées, soufflées, aspirées, roulées… Comme si la théâtralité inhérente au langage suffisait à faire passer le texte et à transmettre toutes les sensations. De la beauté et de la douceur de certains vers à la violence ou la cruauté d’autres.

Mais ce n’est pas toujours le cas. Car la forme finit par occulter le fond, et on perd peu à peu le sens des mots. Il faut, de fait, se concentrer si l’on veut réellement saisir le propos et la poésie de l’ensemble. Et, finalement, cette déclamation, certes très travaillée et originale (le mot est faible), se révèle extrêmement lente, longue, traînante et monotone. D’autant que l’on est face à un comédien parfaitement immobile pendant deux heures (l’immobilité en soi n’aurait pas gêné, n’était le reste), qui, par instants, esquisse un seul geste : celui de monter ses mains à sa bouche et de pousser un cri, comme pour réveiller soudain l’assemblée somnolente.

Car, ne nous leurrons pas, si fin soit l’exercice théâtral et vocal réalisé, il n’en demeure pas moins… assommant. Et il n’est sans doute pas anodin, ni surprenant, que la salle se soit peu à peu vidée au fil de la représentation. La caricature du spectacle abstrait et « conceptuel » l’emporte parfois sur la beauté du lyrisme vers laquelle tendait sans doute Claude Régy. Dommage. Le texte de cet Ode maritime eût été propice à la plus grande réussite, si seulement on avait pu voir un personnage, ou même simplement le poète, plutôt qu’une machine de précision et de technicité. On en ressort avec l’envie de lire le texte de Pessoa pour en saisir enfin la pureté. En toute simplicité. 

Sarah Bussy


Ode maritime, de Fernando Pessoa

Édité chez Fata Morgana, traduit par Armand Guibert, 1995, 80 pages, 11 €

Ateliers contemporains • 20, boulevard Sébastopol • 75004 Paris

Mise en scène : Claude Régy

Assistant à la mise en scène : Alexandre Barry

Avec : Jean‑Quentin Châtelain

Dramaturgie : Sébastien Derrey

Scénographie et costume : Sallahdyn Khatir

Fabrication du costume : Julienne Paul

Création lumière : Rémi Godfroy, Sallahdyn Khatir, Claude Régy

Son : Philippe Cachia

Photo : © Pascal Victor

Théâtre de la Ville • 2, place du Châtelet • 75004 Paris

www.theatredelaville-paris.com

Réservations : 01 42 74 22 77

Du 8 au 20 mars 2010, du lundi au samedi à 20 h 30

Durée : 1 h 50

23 € | 17 € | 12 €

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