« Oh les beaux jours », de Samuel Beckett, Théâtre de l’Atelier à Paris

Oh les beaux jours © D.R.

Sous le soleil exactement

Par Emmanuel Cognat
Les Trois Coups

Le succès des deux pièces de Beckett présentées la saison dernière au Théâtre de la Madeleine ne se dément pas. Alors que la très poignante mise en scène de « Fin de partie » par Alain Françon poursuit son tour des scènes conventionnées (Théâtre de l’Odéon en début de saison, T.N.P. de Villeurbanne récemment), c’est au tour de celle d’« Oh les beaux jours » par Marc Paquien, avec Catherine Frot dans le rôle de Winnie, de retrouver le chemin des planches du 21 mars au 10 avril 2013. Pour le plus grand plaisir des spectateurs du Théâtre de l’Atelier.

L’histoire dit que la création de cette fameuse pièce de Samuel Beckett en 1963 au Théâtre de l’Odéon fut un véritable triomphe. Les jeunes amateurs de théâtre, ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister à l’une de ces représentations, l’attribueront probablement à l’interprétation magistrale du personnage de Winnie par la grande Madeleine Renaud. Et ils auront raison ! (Le visionnage de la captation de la pièce mise à disposition par l’I.N.A. finira de les en convaincre *.) Car si fort que soit le propos d’Oh les beaux jours ! – peinture de la solitude humaine, de l’isolement causé par la vieillesse ou la maladie, ou encore de la vanité de la vie, selon la sensibilité de chacun –, sa structure même, un long monologue déclamé par un personnage pour ainsi dire immobile, tend à rééquilibrer la répartition des pouvoirs entre auteur, metteur en scène et comédienne.

Winnie, femme entre deux âges, se voit en effet, pour une raison qui demeurera pour nous éternellement mystérieuse, partiellement ensevelie dans le sol. Son univers se trouve en conséquence réduit à un grand sac de cuir rempli d’objets du quotidien et à la présence un peu vague de Willie, son compagnon taciturne qui, bien que libre de ses mouvements, se révèle bien moins « vivant » qu’elle. Car, malgré ses contraintes et son horizon immuable et restreint, Winnie vit. Grâce aux menues activités qui structurent sa journée jusqu’à « la sonnerie pour le sommeil ». Et grâce, surtout, à la parole, flux ininterrompu de pensées, questionnements et remémorations aux allures de cordon ombilical, ultime lien avec le monde des hommes sans lequel Winnie ne serait plus. Parole ou plutôt communication, dont l’illusion est maintenue, pour Winnie bien plus que pour le spectateur, par la présence physique de Willie, dont les réponses rares ne permettent pourtant pas de parler de dialogue.

« Il ne se passe pas de jour sans enrichissement du savoir, si minime soit-il. »

Malgré tout, c’est une Winnie optimiste que campe Catherine Frot. Une Winnie un peu précieuse, B.C.B.G. dirait-on, au risque de tomber dans le « vieux style » qu’elle décrie si souvent durant la pièce. Une Winnie qui gourmande son Willie en faisant traîner quelques syllabes, mais une Winnie aimable, dynamique et souriante. Pas une battante dont on admirerait le courage et la force d’âme pour autant. Seulement une femme qui ne se pose pas même la question de savoir s’il vaut le coup de continuer de vivre dans ces conditions, mais le fait avec toute la simplicité, l’énergie et la sincérité dont elle dispose. D’aucuns seront tentés de relever dans la prestation de Catherine Frot un certain manque d’épaisseur et une diction parfois trop scolaire. Qu’ils soient choisis ou non, ces traits s’intègrent toutefois parfaitement dans le portrait de femme tout en mesure et en sensibilité que nous propose la mise en scène.

« Ça que je trouve merveilleux. »

Guère de liberté prise, par ailleurs, dans la scénographie et le jeu « physique » des comédiens. Les indications de Beckett, dont on connaît la précision tatillonne, sont pour ainsi dire respectées à la lettre. En lieu et place d’un mamelon, c’est une concrétion rocheuse (certains veulent y voir une huître) qui happe peu à peu le corps de Winnie. La toile abstraite en fond de scène dans les tons de bleu et d’acier, ouvrant l’espace sur un infini océanique ou céleste, renforce par un effet de contraste la matérialité du spectacle qui nous est offert en avant-scène. Des variations minimes, donc, par rapport à la version déjà citée *. Passé le léger vertige qu’induisent les similarités visuelles et gestuelles, la comparaison des deux mises en scène offrira cependant un franc réconfort à l’amateur de théâtre. Car elle démontre une nouvelle fois qu’un même texte, dans un environnement scénique très similaire, accompagné du même jeu imposé, se teinte d’une coloration largement personnelle dans la bouche de comédiens différents, dirigés dans des sens divergents. La Winnie de Madeleine Renaud et de Roger Blin avait quelque chose de grave et de poignant. Celle de Catherine Frot et de Marc Paquien est au contraire positive et légère. Deux approches de la vie, elle invariablement prolixe en épreuves et difficultés, dont débattront volontiers les penseurs. Et surtout une belle justification à redécouvrir la puissance de l’œuvre de Beckett avec cette nouvelle mise en scène. 

Emmanuel Cognat

* Site I.N.A.fr : http://www.ina.fr/video/CPF86628107

Lire aussi la critique du spectacle par Trina Mounier, lors de sa présentation aux Célestins à Lyon.


Oh les beaux jours, de Samuel Beckett

Éditions de Minuit, Oh les beaux jours suivi de Pas moi, 1963, 96 pages, 6,50 €

Mise en scène : Marc Paquien

Assistante à la mise en scène : Martine Spangaro

Avec : Catherine Frot, Jean‑Claude Durand

Collaboration artistique : Élisabeth Angel‑Perez

Scénographie : Gérard Didier

Lumières : Dominique Bruguière

Costumes : Claire Risterucci

Maquillages : Cécile Kretschmar

Théâtre de l’Atelier • 1, place Charles-Dullin • 75018 Paris

Métro : ligne 12, station Abesses ou ligne 2, station Anvers

Réservations : 01 46 06 49 24

Site du théâtre : www.theatre-atelier.com

Courriel de réservation : theatreatelier@theatre-atelier.com

Du 21 mars au 10 avril 2013, du mardi au samedi à 21 heures, matinée samedi à 17 heures

Durée : 1 h 20

40 € | 28 € | 15 €

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