Parade(s), festival des arts de la rue à Nanterre, chronique no 4

« le Dompteur des sonimaux » © D.R.

Parades à Nanterre ? Tous en marche !

Par Cédric Enjalbert
Les Trois Coups

Un couple d’Anglais perdus et un trio de danseuses sur le chemin de la grâce, huit voyageurs lunaires, des centaines d’acteurs révolutionnaires, un clown licencieux… Trois jours durant, la 21e Parade(s) de Nanterre a investi la ville. Les spectacles de rue, gratuits et de qualité, misaient sur la participation du public. Pari réussi, la preuve avec cinq numéros.

C.I.A. : 1789 secondes

Révolution au pas de course

Citoyens, armez vos chronomètres, affûtez vos cinglants slogans, peaufinez vos doléances ! La C.I.A. trame une re-Révolution. C.I.A. ou Compagnie internationale Alligator compresse notre histoire – mort de Louis XVI, Terreur et tout le tintouin – pour en extraire le jus satirique. Ultra-rapide leur histoire ? À raison de vingt‑neuf minutes et quarante‑neuf secondes exactement pour presque quatre années décisives, soit 1789 secondes pour une Révolution, c’est une gageure. Parfaitement relevée.

Conçu en tableaux successifs, le spectacle est purement participatif : les cinq excellents acteurs s’appuient sur la réactivité du public. Incarnant jusque trois rôles chacun, tantôt Robespierre, Louis XVI ou Necker, le comte d’Orléans, Charlotte Corday ou Marat, Olympe de Gouges ou Marie‑Antoinette, Mirabeau et Lafayette, ils développent un jeu d’une incroyable tonicité.

Acte I. « Et vos doléances ? » Ainsi débute la représentation. Silence. À croire que la société tourne rond. Les sans-culottes s’étonnent, haranguent la foule. Fusent alors quelques : « Départ du nain ! », « Droit d’asile pour tous », « La parité ! », « Que plus jamais résonne le bruit de ses abjectes talonnettes »… Mais aussi de plus obscures revendications : « Moins de sel dans le pain, plus de beurre dans les épinards » ; des plus pragmatiques : « Vends 405 Peugeot » ; des idéalistes : « La retraite à 45 ans ». Le ruban qui interdisait l’accès à la rue, aménagée pour l’occasion, est coupé, la Révolution lancée.

Acte II. L’abolition des privilèges. Chacun est invité à s’engouffrer dans la rue qui sert de décor à la reconstitution, à suivre la marche de l’histoire, en scandant à tue-tête : « Vive le tiers-état, à bas les privilèges ». Des escabeaux ont été dressés au milieu de la rue, des échelles adossées aux façades, en guise de tribune servant à s’adresser à la foule, d’échafaudage pour assaillir la Bastille ou d’échafaud à faire rouler les têtes… mais c’est aller trop avant. Les têtes tomberont, patience.

Acte III. Prise de la Bastille. Décorés d’un Post-it en guise de cocarde, nous voilà pris à partie, dansant la Carmagnole. Les discours dérapent, se payent le luxe de quelques anachronismes bien sentis. C’est d’ailleurs tout le charme de la reconstitution qui sous son air inoffensif, dresse d’anodins rapprochements, certes grossiers, entre privilèges d’Ancien Régime et bouclier fiscal, entre la taille, la gabelle et la T.V.A., entre le pouvoir du monarque et les dérives du régime présidentiel… Parmi les acteurs, il en est pour répliquer à l’orateur qui s’essayent à ces parallèles : « Arrête de parler d’aujourd’hui, toi ! ». En quoi réside le troisième et réjouissant niveau du spectacle, après la reconstitution et la satire politique : une mise en abyme du jeu et de l’esprit de troupe. Marie‑Antoinette devient alors, Dorothée, comédienne.

Acte IV. La Révolution est bien avancée. On assiste à la constitution de la Commune de Paris et la rédaction des Droits de l’homme. Petit éclairage historique et didactique soutenu par le jeu truculent des comédiens. Un châle, un chapeau, un attribut royal ajoutés… et les voilà dans la peau d’un autre. La simplicité des costumes – des caleçons bleu passé, des bas blancs, une chemise terreuse pour tous – et des accessoires – un bâton en guise de guillotine, une remorque en lieu et place du royal carrosse… – n’ôte rien au pouvoir d’évocation du spectacle. Le talent des comédiens, la construction intelligente et rythmée de cette saga historique suffit à nous emporter.

Acte V. Misère, famine, révolte. « L’Autrichienne et son cochon » fuient à Varenne dans le carrosse-remorque. Le peuple (des spectateurs pourtant heureux) est mécontent. « Ah ça ira, ça ira, ça ira » chantent-ils en chœur. Puis l’hymne national vient à toutes les bouches. Attention, ça va trancher.

Acte VI. « On est à la bourre, faut couper la reine » lance un comédien. Ça tombe bien, on commence par guillotiner le couple royal puis on institue la Terreur. Les têtes roulent. Le final est clair et performatif : « Mettons fin à la Révolution ». C.I.A. distribue alors la reproduction de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, il n’est pas exclu de la relire. Vingt‑neuf minutes et trente‑deux secondes sont passées. On a même un peu avance sur l’histoire. Quel talent !

Bruitquicourt

Lion virtuel et clown pétochard

Beuglant trois sons articulés à l’aide d’une patate chaude au milieu d’une piste de cirque dérisoire, minifouet à la main, cheveux ébouriffés, épaulettes en léopard, le Dompteur des sonimaux à l’air tarte du clown qui s’ignore. Les enfants, eux, l’ont vite démasqué.

Dépassé par ses propres évènements, ceux qu’il a pourtant engendrés : sortie du lion capricieux, dressage de chevaux sauvages, envolée d’oiseaux, acrobaties dans des cerceaux que l’on imagine enflammés, ce dompteur trouillard a plus d’un tour dans sa boîte à sons. Il ne fait que mimer, et jamais le bout de la queue d’un de ces énergumènes de cirque n’apparaît évidemment, ni Twitter le dauphin ni le chat de cirque affamé… Le Dompteur a oublié ses croquettes, il faudra s’y substituer. Voir alors enfants et adultes mimer le chuintement de la croquette végétale (qui ne chuinte pas comme celle au bœuf), sorte de bruit de criquet ridicule, vaut de passer par la piste du Dompteur des sonimaux, même si le jeu souvent brouillon mériterait plus de rigueur et le numéro dans son ensemble plus de dynamisme.

Toutefois, le spectacle ravit les enfants, qui non seulement rient, mais se laissent prendre au jeu. Ainsi, lorsque le lion virtuel s’échappe et que notre clown pétochard craint de se faire boulotter, les gamins pleins de compassion lui hurlent, avec la même ferveur que chez Guignol : « Il est derrière toi ! ». Sauvé des crocs de la bête, le Dompteur des sonimaux peut fêter le dénouement heureux en musique : Mozart au ukulélé…

Colbok

Folles ballerines à dérider les badauds

Tutus rose et serre-têtes papillon, maquillées comme des voitures volées, les trois danseuses travesties de Colbok volettent d’un pas presque gracile dans le parc de Nanterre. Accompagnés d’une sono sur pattes – une jeune femme harnachée d’une enceinte dans le dos –, les trois énergumènes silencieux (pas un mot articulé ne sortira de leur bouche) jouent de leurs charmes et de leur improbable séduction.

Étonnés de tout et de tous, ces papillons de jour sont à la recherche de la grâce. Mais le chemin est long et la pente difficile. Gare à qui se trouve sur leur chemin. Sérieuses toujours, voire austères dans la peine – les exercices et pas de danse délicats relèvent chez elles de l’acrobatie –, les pimpantes danseuses de Colbok improvisent. Elles s’appliquent à garder la face malgré leur disgrâce, s’emparent des enfants et des grand-mères, n’hésitant pas à monter sur le banc où ces mamies à frisettes discutent paisiblement, à les cacher sous leur tutu, à les titiller jusqu’à ce que l’une d’elles s’offusque.

Les ballerines s’emparent alors d’une nouvelle cible, osant tout avec le même effarement, le même émerveillement, sur fond de musique classique. Gentiment exubérants, sans être tout à fait irrespectueux, les trois farfadets roses de Colbok ont le courage de se mettre en danger sur fond d’étude pour piano. Non qu’ils fassent moult triples loots piqués (quoiqu’on les aura vu monter sur le toit d’un petit édifice public, ne sachant plus exactement comment descendre), mais ils osent bousculer dans leur quotidien les badauds. Hilarants, ils embrassent quiconque les rencontre, touchent des seins, ne s’interdisent rien, sautillent en souriant, gambadent avec talent, sur fond de lac des cygnes. Lac des cygnes ? Le lac du parc de Nanterre aura fait l’affaire !

Kamchatka

Huit paires d’yeux pour mieux voir

Une petite valise pour tout bagage, quasiment vide au demeurant. Ou plus justement emplie de souvenirs, dont une photo noir et blanc jaunie, qui pourrait bien les figurer. Car chacun des huit membres de la compagnie espagnole Kamchatka paraît sorti des années quarante. Pardessus gris ou marron, costume épais pour les hommes, tailleur sans fantaisie pour les femmes, ces expressifs et silencieux comédiens, respirent la nostalgie. Kamchatka : péninsule volcanique en Extrême-Orient russe selon l’Atlas. Terre lointaine et inconnue, donc, dont la compagnie a rapporté un regard neuf, qui possède toutes les vertus de l’étranger : étonné, curieux, bienveillant, sans préjugé.

Sur ce principe, n’ayant pour soutien que l’improvisation et la banalité merveilleuse, le surgissement du quotidien, Kamchatka part sur les chemins de traverse de la fantaisie. Fantaisie née de leurs souvenirs bricolés, accomodés au présent. À force de mimes, de regards, de tensions et d’écoute mutuels, les membres dressent de petits scénarios greffés sur le canevas de la rue. Un enfant sur une bicyclette s’apprête à faire pièce d’une barbe à papa, bien rose et bien renflée ? Aussitôt une des huit paires d’yeux de la ribambelle hagarde jette son dévolu sur l’enfant et sa drôle de compagne. L’un goûte, les sept autres suivent, attendant leur tour. Car, chez Kamchatka, tout est improvisé, mais tout est parfaitement chorégraphié et synchonisé.

L’entrée dans l’univers feutré, délicieusement suranné de Kamchatka n’est pas immédiate. Tout est transition en douceur, jusqu’à leur sortie de « scène ». Embarqués à bord d’une auto réquisitionnée par leurs soins, contorsionnés, valises tendues à bout de bras par les fenêtres, massés dans le coffre, les huit hurluberlus et leur poésie à ré‑enchanter le quotidien disparaissent au loin, embringués déjà dans une nouvelle histoire.

Élastic

Clown licencieux

Roulements de tambour ! Élastic (Stéphane Delvaux) tente pour vous « il salto de la muerte » ! Le saut de la mort au‑dessus de sa valise de plomb, un numéro dangeroso, que les chanceux de Nanterre ont pu admirer au Festival Parades(s).

Élastic est belge, mais il baragouine italien. Né de mère fratellinienne, le cirque est sa famille. Acrobaties, extension maxillaire, échauffement zygomatique, jonglage, pirouettes, Élastic connaît tous les trucs du métier. Il spectaculo ? C’est « Gagman », publico. Un numéro de quasi-music-hall orchestré par un homme élastique en rouge et noir, les cheveux en bataille. Élastic réalisera les plus beaux tours du répertoire : la vitre invisible, la valise de plomb, les blagues bidons, de l’improvisation. Élastic avale même des ballons gonflés à bloc, le tout mis en musique par son orchestre dirigé à la télécommande, depuis sa poche.

Élastic aime le comique de situation : les enfants sont ses victimes, et de répétition : son vocabulaire passe de spectaculo à momento, de momento à publico, de publico à buon journo (car Élastic est aussi poète : il rime, on rit), qu’il répète à l’envi.

Élastic a un talent : il divertit les enfants venus accompagner leurs parents. À l’instar de cette fillette coiffée d’un chapeau confectionné à l’aide de ballons, que son père orné d’un même couvre-chef surplombe. L’air benêt (que ne fait-on pas pour les enfants), ce gaillard barbu était hilare. Car Élastic verse graveleux, à l’insu du bambino évidemment. Et les parents se bidonnent. Élastic le licencieux est molto comico. Alors garde l’œil publico, car l’homme-gag tourne dans les rues ! 

Cédric Enjalbert


Parade(s), Festival des arts de rue

1789 secondes

Compagnie internationale Alligator

http://www.cia-alligator.com/

Directeur artistique : Frédéric Michelet

Auteur : Frédéric Michelet

Metteur de rue : Manu, assisté de Laurent Lecoultre

Comédiens : Hadi Boudechiche, Dorothée Caby, Didier Chaix, Frédérique Espitalier, Frédéric Michelet, Didier Taudière

Technicien de scène : Rémi Chaussepied

Costumes : Hélène de Laporte, assistée de Céline Arrufat

Travail du corps dans l’espace : Laure Terrier

le Dompteur des sonimaux

Bruitquicourt

http://www.bruitquicourt.com/

Lâcher de ballerines

Colbok

http://colbok.free.fr/

Kamchatka

Kamchatka

Gagman

Élastic

http://www.elasticshow.be/www/index.php

Nanterre

www.nanterre.fr

Les 4, 5, 6 juin 2010

Spectacles gratuits

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