« Phèdre », de Jean Racine, Théâtre de la Croix‐Rousse à Lyon

Phèdre © Bruno Amsellem | Signatures

Un corps à corps éprouvant

Par Maud Sérusclat
Les Trois Coups

Cinq actes, trente scènes, mille six cent cinquante-quatre majestueux alexandrins, déclamés pour la première fois en 1677 par six personnages principaux. Le 14 novembre 2008 dans le petit studio du Théâtre de la Croix-Rousse : un seul homme s’attaque à ce qui est considéré par beaucoup (dont je suis) comme la plus grande tragédie de Racine : « Phèdre ». Un fou ? Assurément, d’autant plus qu’il jouera aussi « Bérénice » et « Andromaque » prochainement.

La salle est petite, intimiste. Seulement six rangs de spectateurs serrés (très serrés) devant une petite scène noire. Il entre par la même porte que le public, d’un pas vif et décidé. Vêtu d’un peignoir en satin noir agrémenté de dragons, une serviette éponge rouge autour du cou. Il va s’asseoir au fond de la scène et s’hydrate avant de commencer. Sa gourde est assortie à sa serviette. Son crâne rasé luit. Serait-ce un masque de lutteur nonchalamment disposé au bas de son siège ? Oui. Nous allons donc assister au combat qui opposera pendant deux heures Jean‑Marc Avocat et Racine. Déroutante entrée en matière pour une pièce si classique et qui attire en général un public exigeant, pour ne pas dire souvent conservateur.

Les puristes n’aimeront pas. Les spectateurs non avertis non plus. C’est une expérience théâtrale qui vous laissera le même goût qu’une exposition d’art contemporain, mieux vaut être prévenu. D’ailleurs, le spectacle est déconseillé aux moins de seize ans. Et pour cause : le stupéfiant comédien joue tous les rôles, hommes et femmes, rois et reines, nourrices et confidents. Il n’est accompagné sur le plateau que d’un petit fauteuil en velours rouge et ne peut compter que sur lui-même. Sur sa folle passion pour Racine, sur son incroyable talent d’acteur, et sur son endurance, parce que c’est un pari insensé que de prétendre tenir physiquement un tel défi. Mais Jean‑Marc Avocat est un catcheur entraîné et aguerri. Son regard intense, ses yeux d’un bleu perçant soulignés par d’épais sourcils parviennent à devenir les miroirs du feu qui dévore Phèdre, de la colère d’Hippolyte, de la rage de Thésée, du désespoir d’Œnone. La fameuse scène de l’aveu est particulièrement réussie, à tel point qu’on est presque plus inquiet de savoir si l’acteur va tenir le coup sans s’évanouir que de la réaction d’Hippolyte.

Il s’agit donc d’une démonstration en règle du formidable talent du comédien. Chaque acte est présenté comme un round dans lequel Avocat va se débattre, non seulement avec le texte, mais surtout avec les passions, funestes démons qui hantent les personnages raciniens. Un vrai corps à corps avec l’œuvre. Et avec le public. Intéressant, fascinant, éprouvant, parfois même inquiétant corps à corps. Mais pas un spectacle de théâtre comme je les aime. Parce que Jean‑Marc Avocat semble dire que seul le texte compte. Il n’y a ni décor, ni scénographie, ni véritable mise en scène.

J’ai été sensible à la folie de l’entreprise, à l’audace inouïe de cet extraterrestre des planches, impressionnée par la performance, souvent même bluffée. Mais j’ai été plus inquiète pour le comédien (on sait que dans une tragédie tous les personnages meurent les uns après les autres, mais l’acteur, lui, en sortira-t-il vivant ?) qu’affligée par les affreux tourments qu’est censée traverser Phèdre. Les moments d’émotion ont été trop rares à mon goût. Si Jean‑Marc Avocat sort du ring lessivé mais vainqueur, je suis sortie de la salle courbaturée et confuse. À la fois admirative et déçue. J’ai aimé l’homme, pas le spectacle. Trop sportif pour moi ! 

Maud Sérusclat


Phèdre, de Jean Racine

Mise en scène et jeu : Jean-Marc Avocat

Création lumière : Justine Nahon

Régie : équipe technique de la Croix-Rousse, scène nationale de Lyon

Photo : © Bruno Amsellem | Signatures

Production : la Croix-Rousse, scène nationale de Lyon

Durée : 2 heures

Théâtre de la Croix-Rousse • place Joannès‑Ambre • 69317 Lyon cedex 04

www.croix-rousse.com

Billetterie : 04 72 07 49 49

Du 13 au 24 novembre 2008 à 20 heures et du 24 au 27 février 2009

17 € | 14 € | 11 €

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