« Politique, documentaire théâtral, épisode 2017 », création collective, Ciné 13‑Théâtre à Paris

« Politique, documentaire théâtral, épisode 2017 » © Doriane Chapelier

Boborama

Par Élisabeth Hennebert
Les Trois Coups

De bons comédiens se fourvoient dans un docufiction sans queue ni texte charriant tous les poncifs sur la politique.

L’écriture de plateau est facilement prétexte au grand n’importe-quoi. La Cie Darius est allée, paraît‑il, à la rencontre des Français pour les interviewer sur leur vie politique. Le présent spectacle est la restitution de cette aventure. L’idée n’est pas absurde en cette année électorale dont chaque matin nous apporte un nouveau sujet de gueule de bois civique. Mais les artistes ont juste oublié un détail : les médias nous assomment quotidiennement de micros-trottoirs nous présentant, brut de décoffrage, le point de vue de Mme Michu, et ce n’est pas précisément d’analyses au ras de la moquette dont nous avons le plus cruellement besoin.

L’accent de la vérité, la simplicité de réponses non instrumentalisées par des intellectuels, en fin de compte la voix du pays réel, est certes quelque chose de très intéressant. Mais, en aucun cas, un travail sociologique sérieux ne peut être restitué tel quel à la scène, car pour être complet, il doit être représentatif ; pour être exhaustif, il doit prendre son temps ; pour faire le tour d’une question, les notes prises sur le terrain ne peuvent être que banales, répétitives et peu théâtrales. Le présent « documentaire » réussit l’exploit d’être à la fois terriblement long et absolument pas représentatif. Les points de vue individuels sont juxtaposés sans lien, et ce catalogue, ce sommaire de mémoire de thésard est aussi rythmé que le feuilletage des Pages jaunes.

Quelques belles prestations surnagent, comme celle de la jeune et jolie Valentine Catzéflis imitant à merveille la voix et la gestuelle d’un metteur en scène octogénaire. Un moment d’intelligence lorsque Élizabeth Mazev incarne une prof de lettres ayant gardé le feu sacré malgré la routine et dissertant sur le fait d’être ou ne pas être « engagé ». Plus inattendu, un numéro de chien réclamant ses croquettes, assez savamment joué par Samantha Markowic.

« Politique, documentaire théâtral, épisode 2017 » © Doriane Chapelier
« Politique, documentaire théâtral, épisode 2017 » © Doriane Chapelier

Pour le reste, les propos sont un calamiteux agglomérat de clichés comme il s’en débite tous les jours au comptoir de tous les zincs du pays. Certains personnages braillent longuement, mais le contenu de ce qu’ils gueulent est d’une telle platitude qu’on aurait pu avoir la charité de leur administrer un sédatif d’entrée de jeu pour épargner nos oreilles et leurs cordes vocales. Le débat n’en eût pas été appauvri d’une once. D’autres ont parcouru un livre d’Alain Badiou et font penser au sketch de Gad Elmaleh avouant piteusement qu’il n’a jamais lu dans sa vie qu’un seul « Oui‑Oui ».

Et puis l’échantillon statistique, misère ! Des musiciens, des théâtreux, des artistes, des professeurs, des C.S.P.+, issus du triangle République-Stalingrad-Montreuil… le pays réel on vous dit ! Il y a bien un boucher (poujadiste évidemment), une retraitée provinciale… Mais quelle gigantesque trahison du peuple que cette interprétation boboïssime des ruraux comme nécessairement croulants et bêtes, des manuels comme nécessairement abrutis ! Contrefaire l’accent paysan, le criaillement de la mamie sourde, le parler de l’homme du peuple est un exercice subtil si l’on ne veut pas tomber dans le mépris de classe pur et simple. In cauda venenum : à l’issue de cette performance, on a l’impression que toute la France est vent debout contre Marine Le Pen. À aucun moment, on ne comprend pourquoi les intentions de vote Front national s’élèvent aujourd’hui, selon les estimations, de 26 % à 39 %. Le sujet est purement et simplement contourné, éludé. À force de s’en débarrasser à bas bruit, on finira par se le prendre sur le coin de la figure. 

Élisabeth Hennebert


Politique, documentaire théâtral, épisode 2017, création collective

Par la Cie Darius

Mise en scène : Florian Sitbon

Avec : Jean‑Paul Bezzina, Jean‑Marc Coudert, Samantha Markowic, Élizabeth Mazev, Valentine Catzéflis et Florian Sitbon

Assistante à la mise en scène : Roxane Driay

Images : Gaëlle Haüsermann

Lumières : Tamara Herbaut

Photos : © Doriane Chapelier

Ciné 13‑Théâtre • 1, avenue Junot • 75018 Paris

Réservations : 01 42 54 15 12

www.cine13-theatre.com

Métro : Abbesses ou Lamarck-Caulaincourt (ligne 12)

Les 19 et 26 mars 2017 à 18 heures, le 27 mars à 21 heures puis du 29 mars au 30 avril : mercredi et vendredi à 21 heures, jeudi et samedi à 19 heures et dimanche à 18 heures (relâche du 12 au 16 avril)

Tarifs : 26 €, 18 € et 13 €

Durée : 1 h 15

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