Voyage au pays
du merveilleux
Par Anne Cassou-Noguès
Les Trois Coups
Poucette est l’histoire d’une toute petite fille, haute comme un pouce, qui est contrainte de quitter sa fleur pour parcourir le monde. Elle rencontre au cours de ses pérégrinations différents personnages. Véronique Balme les fait tour à tour apparaître sous nos yeux, soit en les incarnant elle-même, soit en animant une grande variété de marionnettes.
Le récit d’Andersen met en scène le passage de l’enfance à l’âge adulte. Poucette vit cette période tourmentée avec sérénité malgré les épreuves, ce qui évite que le conte ne se fasse exagérément moralisateur. Ainsi, le spectateur, quel que soit son âge, apprécie le caractère merveilleux des rencontres de Poucette, sans nécessairement chercher à en décrypter le sens. De plus, la « leçon » de cette histoire est réjouissante. Poucette atteint la maturité quand son jugement est reconnu, quand on lui demande son avis, et quand elle aime. Raison et sentiment s’allient pour métamorphoser la fillette perdue en une jeune femme rayonnante.
Véronique Balme seule en scène
Montrer à des enfants comment un personnage minuscule fait la connaissance de divers animaux, tel est le défi que relève Véronique Balme. Sa proposition obéit à un double impératif. D’une part, elle a pleinement conscience de s’adresser à des spectateurs de trois ans et plus, enfants dont l’attention est labile et qui n’hésitent pas à manifester bruyamment leur ennui s’ils en éprouvent l’envie. D’autre part, elle est soumise à un problème d’échelle : comment donner à voir un être dont la principale caractéristique est d’être quasiment invisible ? Ces contraintes rendent la comédienne et metteuse en scène extrêmement inventive. Tantôt, elle prête son corps et sa voix, chantée ou parlée, aux protagonistes. On n’emploie pas le pluriel à la légère… Le dialogue entre Dame Souris et Enguerrand la Taupe, tous deux incarnés par Véronique Balme, alternativement de face et de dos, marche très bien. Tantôt, elle fait apparaître des marionnettes ou des objets plus ou moins imposants. Poucette est si petite qu’on ne peut la voir quand elle est entourée par une grenouille et un crapaud, peluches manipulées par une présence cachée. Elle a en revanche une taille humaine quand elle soigne une petite hirondelle représentée par une grande figurine. Ainsi, on attend avec impatience chaque nouvelle rencontre parce qu’elle implique une surprise.
Il faut ajouter que le décor se modifie à chaque scène. Le rideau de la demeure la mère de Poucette se déplie pour devenir l’eau de la rivière, il s’enlève pour révéler les branches d’un arbre ; une commode se transforme en logis de Dame Souris puis en prairie fleurie… Ces décors gigognes, associés à un très joli travail sur les lumières, dont la couleur varie au gré du voyage, contribuent à séduire les plus petits, ébahis.
Le merveilleux et le théâtral
Il ne s’agit pourtant pas d’annihiler toute réflexion et tout esprit critique au profit d’un émerveillement des sens. Au contraire. D’une part, la scénographie est au service de l’histoire qui nous est contée, et non une simple prouesse technique. Les enfants sont par exemple conviés à intervenir afin que la conteuse s’assure qu’ils ont bien compris ce qui se passait. D’autre part, plusieurs marionnettes ou éléments de décor affichent leur caractère artisanal. Ainsi, Taton le Haneton est constitué de papiers collés et n’est pas sans évoquer les réalisations des enfants de maternelle. De même, les changements de décor sont réalisés à vue, la comédienne prenant le temps d’installer tel ou tel tissu. De ce fait, les spectateurs, même les plus jeunes, perçoivent comment la pièce est fabriquée. Par ce biais, ils sont sans cesse ramenés à la théâtralité de ce qu’ils regardent. Poucette ne se contente donc pas de nous faire rêver, de nous plonger dans un univers merveilleux. Le spectacle nous montre les ficelles de l’illusion théâtrale. Il révèle ce qui met en branle notre imagination.
Comme l’indique le programme, Poucette est bien une fête pour toute la famille. On s’y laisse bercer par la voix de Véronique Balme, qu’elle nous raconte une histoire ou fredonne une chanson, on est emporté par le récit et la diversité des formes théâtrales mises en scène. On reste pourtant conscient de la théâtralité de l’aventure. Cette double posture, entre identification et distance, ne fait que renforcer le plaisir. ¶
Anne Cassou-Noguès
Poucette, d’après Hans Christian Andersen
Adaptation, mise en scène, décors, costumes : Véronique Balme
Contact : vbalme.lesptitesgriottes@gmail.com
Avec : Véronique Balme
Création lumière : Pierre Blostin
Musique et ambiance sonore : Ivan Réchard
Graphisme : Wolfgang Büttner
Photos : © Ingrid Mareski
Le Funambule Montmartre • 53, rue des Saules • 75018 Paris
Réservations : 01 42 23 88 83
Site du théâtre : http://www.funambule-montmartre.com/
Du 9 septembre au 16 décembre 2015, mercredi à 16 h 30, samedi et dimanche à 11 heures (du mardi au vendredi à 10 h 30, samedi et dimanche à 11 heures pendant les vacances de la Toussaint)
Durée : 40 min
Plein tarif : 12,5 €
Tarif réduit : 10 € (moins de 26 ans)
Tarif réduit : 9,5 € (groupes à partir de 10 personnes, famille nombreuse)