« Raté‑rattrapé‑raté », de Nikolaus, Village de cirque à Paris

Raté-rattrapé-raté © Martin Wagenhann

Entre la complexité du monde et la simplicité de la beauté

Par Élise Noiraud
Les Trois Coups

La pelouse de Reuilly revêt un air de fête en ces froides et humides soirées d’automne. Pour un mois, sous l’impulsion de La Coopérative de rue et de cirque, plusieurs chapiteaux forment le « Village de cirque », comme on l’appelle ici, et accueillent quatre spectacles différents. L’ambiance est bon enfant, chaleureuse, et, ce soir, c’est vers le chapiteau du fond que conflue le public venu voir « Raté-rattrapé-raté », nouveau spectacle de la Cie Pré-O-Ccupé-Nikolaus.

Ils sont trois. Le premier, carnet et crayon vissés à la main, est une sorte d’obsessionnel de la réflexion métaphysique. Le second, caché derrière de grosses lunettes, traîne son rythme nonchalant en perdant constamment son pantalon. Le troisième, enfin, est un observateur enthousiaste, toujours prêt à tenter des expériences. Trois vraies gueules hilarantes, à mi-chemin entre les Deschiens et M. Hulot, qui ont l’air de ne pas trop savoir eux-mêmes pourquoi ils se retrouvent sur cette piste. Toujours est-il qu’ils sont là, que nous aussi et que, donc, il va bien falloir que quelque chose se passe. Et ça, comme nous l’explique Nikolaus, c’est une grosse responsabilité. Entrée dans un spectacle qui passe son temps à interroger le pourquoi et le comment avec le sérieux, la rigueur et le comique d’un questionnement existentiel clownesque.

Au début, donc, le public aussi se demande où tout cela va bien pouvoir conduire. Nikolaus nous regarde, questionne la vie et le temps : pourquoi sommes-nous là ? combien de temps cumulé allons-nous perdre si ce spectacle est raté ? On commence à avoir peur de voir le spectacle clownesque se transformer en discours métaphysique un peu longuet… Jusqu’au moment où le clown-jongleur se met à faire rouler des balles rouges sur sa tête et son corps, les faisant littéralement danser. Nous laissant subjugués par un moment à la poésie à la fois simple et envoûtante. Quelques notes de musique s’égrènent et, dans la magie de l’instant, on comprend que ce spectacle va se situer là, juste là, sur le fil. Entre les mots et le silence, entre la complexité du monde et la simplicité de la beauté. Entre le chaos et l’harmonie.

« Sur le fil », c’est bien l’expression qui semble le mieux définir Raté-rattrapé-raté. Un spectacle à la croisée des genres. Et surtout un spectacle qui va chercher du côté de l’expérience, de l’essai, de la possibilité et non de la certitude de réussir. Ainsi, le décor fait de boîtes en carton de toutes tailles permet de tenter des portés, des figures, des équilibres qui peuvent s’écrouler d’un instant à l’autre. On n’est pas seulement face aux limites du circassien qui, devant un public, fait le pari de ses propres capacités. On est aussi, et surtout, face à des hommes qui testent les limites de leur environnement, de la matière. Nikolaus et ses acolytes nous invitent plus à l’expérience collective qu’à la performance individuelle. Et ils parviennent ainsi à créer une vraie connivence avec le public, suspendu plus que jamais aux drôles de numéros de ces savants fous.

Des numéros de plus en plus abracadabrants, où les trois clowns mettent toute leur énergie. Mention spéciale à l’installation très gonflée d’une réaction en chaîne, dont l’aboutissement logique est un lancer d’œuf en direction du public. On les sent poussés par une vraie recherche, une vraie envie de comprendre et d’essayer. Et le public, un peu perplexe au début, finit par se prendre lui aussi au jeu de leurs questionnements métaphysiques. Fasciné par ces numéros qui flirtent à la fois avec l’envol et la chute, dans une confrontation permanente avec les lois de la gravité.

Ce soir-là, un groupe scolaire d’adolescents allemands remplissait une bonne partie des gradins. Gloussements, discussions… Qu’il est difficile d’oser se rendre à un spectacle quand on a 15 ans, que tous les copains sont là et que le noir de la salle offre avant tout un moment de récréation. Pourtant, vers la fin du spectacle, j’ai tourné mon regard vers eux. Silence, attention, trente‑cinq regards tournés vers la piste avec fascination. Le pari de Raté-rattrapé-raté était gagné. Indiscutablement. 

Élise Noiraud


Raté-rattrapé-raté, de Nikolaus

Cie Pré-O-Ccupé • 61 avenue Victor-Hugo • 93500 Pantin

01 48 45 90 01

contact@preoccupe-nikolaus.com

http://www.preocoupe-nikolaus.com/

Conception : Nikolaus‑Maria Holtz et Christian Lucas

Sur une idée originale de Nikolaus‑Maria Holtz

Mise en scène : Christian Lucas

Avec : Nikolaus, clown-jongleur-acrobate ; Mika Kaski, équilibriste ; Pierre Déaux, funambule

Écriture collective : Nikolaus‑Maria Holtz, Christian Lucas, Mika Kaski, Pierre Déaux

Création lumière, scénographie : Hervé Gary

Création musicale : Olivier Manoury

Photo : © Martin Wagenhann

Village de cirque • pelouse de Reuilly • 75012 Paris

Réservations : 01 46 22 33 71

Du 15 octobre au 2 novembre 2008 à 21 heures, du mercredi au samedi, dimanches à 17 heures, relâche les lundi et mardi

Durée : 1 h 20

19 € | 14 € | 9 €

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