Peplum version miniature, ça déménage !
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Pour la troisième fois, Thomas Poulard monte un texte de Friedrich Dürrenmatt dans la salle miniature (par ses dimensions) de l’Élysée. Une « comédie historique en marge de l’histoire » selon l’auteur, une réussite à en juger par l’accueil enthousiaste des spectateurs.
L’histoire se déroule non loin de Rome en 476 apr. J.-C. Son héros (qui n’en est pas un, c’est là le problème et le sel de la pièce) est l’empereur Romulus le Grand en personne. Un bonhomme tout sauf charismatique, tout sauf chef de guerre, en vacances dans sa résidence d’été et bien décidé à y rester, alors que l’ennemi (les Germains) qui a déjà envahi l’Italie est aux portes de Rome. Les messagers porteurs de mauvaises nouvelles se succèdent sans arriver près de lui, les conseillers le pressent de réagir en prince, jusqu’à sa famille qui s’avoue prête à tous les sacrifices pour éviter le désastre. Cela fait beaucoup de monde, beaucoup de mouvements, beaucoup de lieux pour la petite taille du théâtre. Thomas Poulard, avec les cinq acteurs de la compagnie du Bonhomme, on s’en doute, a dû réduire, couper, élaguer, adapter !
Pour faire face à ce casse-tête, il a recours à une solution ingénieuse : la vidéo. Et voici la salle de l’Élysée transformée en cinéma avec un montage serré de films noir et blanc, dont on reconnaît parfois au passage les auteurs et grâce auxquels on voit des armées innombrables en ordre de bataille, des soldats blessés courir des kilomètres pour sonner l’alarme, les salons où notre empereur se vautre sur un divan et s’empiffre, entouré de belles Romaines… Mais cette astuce ne suffit pas à l’ingénieux Thomas Poulard qui donne à ce pot-pourri une dimension hautement comique et jubilatoire : des scènes repassent en boucle, notamment celle du légionnaire blessé, qui de dramatique devient tordante. Ce choix de la satire est d’ailleurs déjà présent chez Dürrenmatt, dont le propos est loin d’être lénifiant, au contraire. Son Romulus fit scandale à sa sortie en 1948, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, à une époque où les souvenirs qu’elle avait laissés ne faisaient pas franchement rigoler ! Le metteur en scène est donc absolument fidèle à l’esprit, sinon à la lettre de la pièce.
Habemus Romulus
Mais cette fidélité ne signifie aucunement frilosité. D’ailleurs, Thomas Poulard en rajoute : le Romulus de Dürrenmatt aime s’occuper de ses poules ? Cela nous vaut sur le plateau bottes de foin et boîtes à œufs pour tout décor et quelques belles séquences de poulailler sur l’écran. Pour couronner le tout, l’enchaînement de films est muet, et ce sont les acteurs qui, devant leur micro, doublent les personnages, mais aussi les poules et tous les bruitages. Les Romains sont en toge ? Le metteur en scène habille les Germains en pantalons. S’ensuivent quelques néologismes du meilleur effet : le chef des Germains est dans le civil le roi du pantalon (entendez jean) et se nomme Trumpf.
La principale qualité de ce spectacle qui n’en manque pas est son inventivité joyeuse et iconoclaste.
Mais le propos de Dürrenmatt est bien plus grave que cela, et dans la seconde partie du spectacle le metteur en scène quitte le cinéma pour incarner les personnages et donner plus de visibilité à des comédiens. Car en 48, et malheureusement encore aujourd’hui, l’état du monde est inquiétant, le cynisme et l’incompétence des politiques se portent bien et l’avenir n’est pas aux lendemains qui chantent. Que va faire Romulus dans ces circonstances d’extrême urgence ? Le contraire de ce qu’on attend de lui. À l’instar du pape de Habemus papam, il fuit et se réfugie auprès de ses poules, il refuse le sacrifice de sa fille prête à épouser Trumpf pour qu’il épargne Rome et propose une humble philosophie du carpe diem du pauvre. Et tant pis pour les œufs que Romulus jette par terre comme autant de morts, victimes collatérales d’une gigantesque omelette !
Tous les comédiens, Adeline Benamara, Jean‑Rémi Chaize et Nicolas Giret-Firmin sont justes, précis, font un travail remarquable de finesse. Quant à Stephan Castang à qui revient le rôle de Romulus, il fait preuve d’une présence étonnante et parvient à faire percevoir toutes les facettes d’un personnage hautement paradoxal, à la fois lâche, émouvant, jouisseur, égoïste et suffisamment courageux pour prendre un chemin de solitude.
Au bout du compte, un spectacle formidable qui court à 100 à l’heure et propose un regard politique sur le monde à la manière d’un magazine satirique. ¶
Trina Mounier
Lire aussi « la Visite de la vieille dame », de Friedrich Dürrenmatt, l’Élysée à Lyon.
Romulus le Grand, de Friedrich Dürrenmatt
Traduction : Claude Chenou
Le texte est publié chez l’Arche éditeur
Cie du Bonhomme
Mise en scène : Thomas Poulard
Collaboration artistique : Nicolas Fine
Jeu : Adeline Benamara, Stephan Castang, Jean‑Rémi Chaize, Sylvain Delcourt, Nicolas Giret‑Firmin
Scénographie : Amandine Livet
Lumières : Pierre Langlois
Son : Clément‑Marie Mathieu
Costumes : Ségolène Petey
Photos : © Émile Zeizig
Avec le soutien de la Drac Rhône-Alpes et de la région Rhône-Alpes
L’Élysée • 14, rue Basse‑Combalot • 69007 Lyon
04 78 58 88 25
Du 14 au 21 octobre 2016 à 19 h 30, relâche le dimanche
Durée : 1 h 15
De 7,5 € à 12 €
Spectacle Balises (balises-theatres.com), 1 place offerte pour 1 place achetée
Tournée :
- Théâtre de Bourgoin-Jallieu (38) : le 9 novembre 2016 à 20 h 30 et le 10 novembre (scolaire) à 14 h 30
- Théâtre de Givors (69) : le 18 novembre 2016 à 20 h 30
- Espace culturel du Monteil à Monistrol-sur‑Loire (43) : le 19 novembre 2016 à 20 h 30
- Le Dôme Théâtre à Albertville (73) : le 24 novembre 2016 à 20 heures
- L’Échappé à Sorbiers (42) : le 20 janvier 2017 à 20 h 30