« Samsara », de Jann Gallois, Théâtre national de Chaillot à Paris

Jann_gallois-Samasara © Agathe-Poupeney

Enchaînés

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Radical, « Samsara » fait partie des spectacles qui remuent. Une pièce inspirée du bouddhisme, un travail de recherche passionnant de Jann Gallois, artiste associée du théâtre de Chaillot, depuis 2017.

Inspirée de la philosophie bouddhiste tibétaine, la pièce tire son titre du terme sanskrit Samsara, qui signifie « l’ensemble de ce qui circule ». Celui-ci désigne le cycle dans lequel sont pris les êtres qui n’ont pas encore atteint l’éveil spirituel. Ainsi, dans le spectacle de Jann Gallois, assiste-t-on à une succession de morts et renaissances. La chorégraphe nous fait traverser plusieurs espaces-temps, depuis le tourment de l’existence sur terre, jusqu’au Nirvana, en passant par plusieurs états intermédiaires.

Jann Gallois a fait le choix de matérialiser « l’attachement aux choses, aux êtres, au succès, et même à notre propre corps, ce poison qui nous maintient dans le Samsara » par un dispositif scénique original : une chaîne en nylon longue de trente mètres et d’une centaine de kilos qui ressemble à une natte. Cette contrainte technique impose aux danseurs d’évoluer ensemble car ils sont noués entre eux. Le geste de chacun se répercute sur le groupe. À plusieurs reprises, un élévateur descend des cintres et un technicien vient accrocher, puis décrocher cette corde à des harnais, de façon à suspendre les danseurs.

Samsara-Jann-Gallois
© DR

Les personnages subissent donc une série d’épreuves, à commencer par une cadence quasi industrielle : « On vit une époque de déclin spirituel. C’est ce que j’observe dans le développement des pensées capitalistes, par lesquelles l’ego est nourri à l’extrême, et qui détruisent l’humain et la planète », explique la jeune femme. Après avoir enduré l’accélération d’un rythme infernal, ces pantins désarticulés rampent, comme pris au piège d’une toile d’araignée. Entre chaque cycle, l’élévation, d’abord automatique, devient plus mystérieuse. Enchaînés, les danseurs deviennent peu à peu reliés. Entre union et désunion, c’est l’harmonie qui prend heureusement le dessus.

Le technicien qui œuvre à vue, avant de s’asseoir en fond de scène, tel Bouddha, finit par disparaître. Le deus ex machina laisse place à une présence évanescente. Après des personnages bien campés, tantôt isolés, tantôt réintégrés, mais bien distincts, on croit discerner des atomes. Peut-être des bribes, des graines, des étincelles ? Selon les bouddhistes, lors du passage vers la vie suivante, via une réincarnation, seul notre Karma demeure.

La chaîne, moteur de créativité

Chorégraphie, scénographie, travail sonore, contribuent à la réussite du spectacle au propos dense et riche. Pas de folklore ici ! Jann Gallois exprime les affres de la condition humaine, de façon sensible et juste, par des mouvements d’abord mécaniques, puis fluides, aériens. Une danse qui repose ici sur le principe de décomposition articulaire, la base du hip hop. Pour cette septième pièce, elle a choisi sept interprètes exceptionnels, à l’aise avec ces exercices complexes de dissociation, qui tissent des liens intéressants avec la danse contemporaine. Un langage original, tout comme la musique électro de Charles Amblard, qui a composé au fur et à mesure de la création.

Cette pièce traduit remarquablement la quête spirituelle de Jann Gallois. Suivant une voie où les hommes, enfin délivrés de leurs souffrances ou ignorances, du profond sentiment de peur, de perte ou de manque, accèdent enfin à la sérénité (la paix éternelle du Nirvana), elle évoque la nécessaire absence de soi. En effet, selon le bouddhisme, dans l’univers, tout est par nature interdépendant, donc vide d’existence propre. Ainsi, le chœur devient magma, forme fluctuante vidée de sa substance, mais quasi divine.

Après le début (à la limite de l’insupportable), la fin (contemplative) nous met dans un état proche de la béatitude. Délivrés, délestés, les corps sont parvenus au lâcher-prise. Temps suspendu. On reste le souffle coupé devant la beauté de ces âmes en apesanteur. Déchaînées. 

Léna Martinelli


Samsara, de Jann Gallois

Compagnie BurnOut

Chorégraphie et scénographie : Jann Gallois

Conseil à la scénographie : Delphine Sainte-Marie

Lumières : Cyril Mulon

Musique originale : Charles Amblard

Costumes : Marie-Cécile Viault

Regard extérieur : Frédéric Le Van

Avec : Inkeun Baïk, Carla Diego, Shirwann Jeammes, Jean-Charles Jousni, Marie Hanna Klemm, Jérémy Kouyoumdjian, Laureline Richard

Chaillot – Théâtre national de la Danse • Salle Firmin Gémier • 1, place du Trocadéro • 75116 Paris

Plus d’infos ici

Du 6 novembre au 19 novembre 2019, mercredi et vendredi à 19 h 45, mardi, jeudi et samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30

Renseignements : 01 53 65 30 00

Réservations en ligne ici

De 11 € à 38 €

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