« Sept », adapté de « l’Épreuve de feu » de Magnus Dalström, Festival de caves à Besançon

rideau-rouge

À la limite du dicible

Par Morgane Patin
Les Trois Coups

Inscrit dans le cadre du Festival de caves, le spectacle « Sept » propose d’explorer les sept péchés capitaux à travers sept interdits : vol, violence conjugale, infanticide, inceste, pyromanie, mutilation, nécrophilie. Une expérience étrange qui met à l’épreuve les oreilles du spectateur !

Faire de l’espace souterrain qu’est la cave un lieu de théâtre, voilà l’ambition du Festival de caves, qui organise cette année sa onzième édition. Il en ressort immédiatement une dimension mystérieuse : on vous donne rendez-vous à un endroit dont vous avez connaissance la veille de la représentation ; une fois tout le monde arrivé, vous suivez votre guide qui vous emmène jusqu’au sous-sol qui servira de scène. La troupe a ainsi décidé de tirer profit de ce lieu insolite pour qu’il devienne le terrain d’expression de ces interdits que la société rejette.

Disposés en cercle dans un espace clos, nous découvrons sept personnages qui incarnent les péchés abhorrés pour leur caractère profondément immoral. Les rôles sont alternativement pris en charge par deux comédiens. Bruits lointains de la rue, cave fermée, spectateurs qui se font face, impression d’intimité, une chaise que l’on scie vivement, tout est là pour créer une atmosphère oppressante, lourde, presque inquiétante, qui vient encore ajouter au malaise provoqué par le texte.

Car il faut dire que chacun des personnages prend corps à travers un monologue dans lequel le crime est avoué avec la simplicité de la discussion de comptoir. Ce qu’il peut y avoir de plus noir dans les pulsions humaines est exposé avec une sorte d’évidence, dans un discours qui met entièrement de côté le jugement moral. Et c’est bien cette apparente normalité qui dérange rapidement : on serait presque proche de ces criminels que l’on considère pourtant comme monstrueux.

Dans le sillage des poètes maudits

C’est sous le patronage de Lautréamont et des poètes du xixe que la performance est placée.

« Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison […]. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. » Lautréamont, les Chants de Maldoror, chant I.

Ce sont sur ces mots que vous entrez dans le cénacle. Les âmes sensibles et moins sensibles sont donc averties. Il n’en demeure pas moins que la pièce, adaptée de l’Épreuve de feu de Magnus Dalström, dérange davantage que les œuvres du romantisme noir et d’inspiration gothique du xixe siècle. Peut-être est-ce que nos personnages sont bien ancrés dans la société contemporaine et qu’il n’y a, de ce fait, pas d’effet de distance, ce qui donne la sensation qu’il pourrait s’agir de n’importe lequel d’entre nous. Il faut dire que le jeu des comédiens tend à nous rapprocher de ces êtres que l’immoralité rend hideux. Leur incarnation est juste, mesurée, et c’est ce qui provoque le trouble.

Aux frontières de l’humanité

On sait que le théâtre sonde les limites de l’humain et de l’inhumain depuis l’Antiquité. En cela, Sept remplit parfaitement sa mission. L’apparente normalité de ces personnages hors des critères habituels de la morale nous oblige à nous interroger sur ce qui engendre le crime. Toutefois, dans ce questionnement, on ne nous ménage pas : on ne nous montre pas des êtres loin de nous, comme le faisait la tragédie antique qui réservait les atrocités les plus abjectes à des héros extraordinaires. Sept nous plonge au contraire dans l’ordinaire jusqu’au cou. La simplicité de ces monologues qui expliquent tranquillement le progrès dans l’horrible nous heurte parce que nous préférons penser que ces êtres sont des monstres, au-delà des bornes de l’humanité. Les voir évoluer dans un quotidien qui est le nôtre, dans notre société, dans nos habitudes est particulièrement perturbant.

Il est évident que la pièce ôte la passivité au spectateur : la réalité du crime est présentée de façon brute, sans remords, sans discours moralisateur, sans jugement culpabilisant. Aucun tabou, aucune métaphore ou aucun euphémisme pour décrire la pulsion et sa satisfaction égoïste et immorale. On se retrouve face à ces personnages un peu démuni et désappointé. Aussi sort-on sans être capable de dire, et ce pendant un bon moment, ce que l’on a pensé du spectacle. L’expérience est en tout cas singulière et étrange. 

Morgane Patin


Sept, adapté de l’Épreuve de feu de Magnus Dalström

Mise en scène : Jean‑Michel Potiron

Avec : Marie Champain et Charly Marty

En coproduction avec la Cie Théâ̂tre à tout prix (Besançon)

Festival de caves

Réservations : 03 63 35 71 04

Site : http://www.festivaldecaves.fr/

Du 30 avril au 30 juin 2016

12 € | 10 € | 7 €

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