« Songe d’une nuit d’été », de Shakespeare, Théâtre 13 à Paris

Songe d’une nuit d’été © Sophie Geller

Coup de feu shakespearien au Théâtre 13

Par Sheila Louinet
Les Trois Coups

Shakespeare était à l’honneur mardi 4 mai 2010 au Théâtre 13. Monté par la Cie Miranda, « Songe d’une nuit d’été » faisait salle comble pour sa première, et ce n’est pas sans raisons que la pièce a largement été applaudie. C’est dans une mise en scène audacieuse mais très fidèle au théâtre élisabéthain que Thierry Surace a su conquérir le public parisien. Entre interprétation et création, le mélange est détonant et le résultat original.

Thierry Surace a raison de dire que cette pièce est « déraisonnable ». À l’image de l’auteur, il ne s’interdit rien. Mieux, il a l’audace d’aller explorer des univers qui ont rarement l’habitude de se côtoyer : du chant à la musique, de la danse au geste chorégraphié, les comédiens redeviennent, avec la troupe Miranda, de véritables saltimbanques, polyvalents et polyphoniques. À foison – mais sans confusion ! –, tous les arts sont au rendez-vous dans cette mise en scène très personnelle. Des personnages en costumes élisabéthains osent tour à tour se déshabiller et prendre des allures de strip-teaseuses en costume vinyle. Le baroque se mélange sans mauvais goût au contemporain et s’affiche résolument moderne. Ça crie, ça craque, ça croasse, le décor est mouvant et les frontières se fissurent… on ose les interdits.

Choisir de monter Songe d’une nuit d’été est déjà en soi un acte courageux. C’est peut-être la pièce la plus baroque du répertoire shakespearien. Entre rêve et réalité, le spectateur passe ostensiblement de la Grèce, le jour, à l’univers celtique, la nuit. Deux mondes qui flirtent sans tout à fait se mélanger. Et c’est là, déjà, que l’habileté de Thierry Surace intervient. Dans ce jeu de miroirs original, chaque comédien interprète au moins deux rôles : Thésée, duc d’Athènes le jour, devient Oberon, roi des fées, la nuit, tandis que Hippolita, sa future femme, se métamorphose en Titania. Égée, le père d’Hermia, devient Puck, le personnage le plus farcesque de la pièce, le « trickster » comme disent les Anglais. Ainsi, grâce à ce choix de mise en scène, le spectateur se trouve entraîné dans un univers mouvant où les repères sont faussés jusque dans l’identité des personnages. De même, le choix d’un décor astucieux, qui tourne sur lui-même (clin d’œil au Théâtre du Globe), accentue cet effet tourbillon dans lequel le spectateur est obligé de repousser sans cesse les limites de la raison pour laisser place au songe. C’est donc avec efficacité que Thierry Surace utilise sans tabou cet imaginaire shakespearien. Comme lui, il ne se borne à aucune limite et s’affranchit des règles.

Toutefois, si la liberté d’expression du metteur en scène est grande, le jeu des comédiens peut aussi se perdre au milieu de ce foisonnement. Certes, nous en ressortons avec le sentiment d’avoir vu du Shakespeare – et c’est déjà beaucoup ! –, mais la richesse et la vivacité de la mise en scène ont parfois tendance à étouffer la voix des acteurs à qui on laisse trop peu de respiration. Ici, la gestuelle et la chorégraphie sont un régal des yeux, mais le ton manque parfois de nuances et la parole aurait mérité d’être mieux articulée. En effet, si on note par exemple que le jeu d’Élodie Nicolini ou de Cécile Guichard, dans les rôles respectifs d’Hermia et d’Héléna, sont parfaitement orchestrés, peut-être aurait‑on apprécié une parole plus rythmée. Cependant, ne retenir que cela serait réduire le travail de ces comédiennes à bien peu de choses : leur jeu ne manque ni de talent ni de générosité.

Par ailleurs, nous saluons sans réserve la performance des « artisans », ce groupe de quatre personnages décalés qui s’entraînent à jouer les amours de Pyrame et de Thisbé en l’honneur du duc et de son mariage. Ils n’hésitent pas à tomber dans le cliché, leur jeu est volontairement ridicule et burlesque et provoque les rires de la salle.

Entre magie et féerie, voici une pièce investie, montée par une troupe généreuse, une heure quarante de véritable spectacle ! 

Sheila Louinet


Songe d’une nuit d’été, de William Shakespeare

Cie Miranda

Mise en scène : Thierry Surace

Assistante à la mise en scène : Sylvia Scantamburlo

Avec : Florent Chauvet, Jean Franco, Cécile Guichard, Élodie Nicolini, Frédéric Rubio, Serge Sardu, Sylvia Scantamburlo, Jérôme Schoof, Christophe Servas, Jan Sitta, Thierry Surace et la participation des danseurs Julie Galopin ou Sandrine Lescourant et Hugues Salgas

Traduction et adaptation : Thierry Surace

Chorégraphie : Angelo Monaco

Scénographie : Jean‑Luc Tourné

Musique : Cie Miranda, Sylvia Scantamburlo et Camille Fanet

Création et réalisation de masques et accessoires : Marie Lefol

Création costumes : Opéra de Nice et Émilie Carpentier

Photo : © Sophie Geller

Théâtre 13 • 103 A, boulevard Auguste‑Blanqui • 75013 Paris

Réservations : 01 45 88 62 22

Du 4 mai au 13 juin 2010, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche 23 mai 2010 à 15 h 30, dimanche 30 mai 2010 à 17 h 30, relâche le lundi

Durée : 1 h 40

22 € | 15 € | 11 €

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