« Stenay 1914 », d’Émilie Génaédig, collège de La Salle à Avignon

« Stenay 1914 » © Corinne Francois Denève

La guerre des enfants

Par Corinne François-Denève
Les Trois Coups

Des amateurs, très jeunes, se chargent de dire les témoignages des habitants de Stenay, ville de la Meuse occupée dès août 1914. Émotion des situations, émotion d’un dispositif ingénieux qui fait la part belle à la sincérité de ces comédiens en herbe.

Au début, disons-le, on craignait le pire. Au fond de la cour du collège de La Salle, où doit se jouer le spectacle, des gradins bleus griffés « Académie des arts du spectacle » et un portique chargé d’accessoires de gymnastique. Va-t-on nous imposer les derniers loopings de Guynemer ? Nous inviter à expérimenter ce que ressent un pauvre poilu soufflé par un éclat d’obus ? Derrière la barrière que l’on garde fermée, de très, très jeunes gens se mettent en place. Ils ont le visage poudré de blanc : évidemment, en temps de guerre, on est pâlot.

Prélude. Un accordéoniste aveugle campe la situation : Stenay est donc en proie à l’occupation allemande (une situation que l’on a souvent oubliée, mais dont parle Annette Becker dans son livre les Cicatrices rouges 14-18). De patibulaires sentinelles allemandes poussent alors le public dans la cour du collège : vous voilà vous aussi, spectateur captif, retenu dans Stenay 1914. Un peu d’art de rue, de performance – on espère être de ceux qui s’en sortiront et pourront témoigner. Les sentinelles vous enjoignent de rejoindre une ligne blanche. Elles sont une vingtaine, qui suivent le carré de la cour. On s’y rend, toujours perplexe. Le spectacle commence.

Pendant cinquante-cinq minutes, face à vous, un personnage va vous prendre dans le cœur de son récit : jeune mère de famille qui doit fuir avec le grand-père et ses deux jeunes enfants, Allemand amoureux d’une Française, Française amoureuse d’un Allemand, gamine qui doit tuer son chien, gamin qui élève en cachette des lapins, déserteur caché dans la forêt, et même le Kronprinz en personne qui mène la belle vie au château des Tilleuls. Deux minutes trente pour vous raconter cela, et ensuite, roulement de tambour, on tourne, et vous vous retrouvez, vous, en position d’institutrice qui doit écrire pour l’illettrée, de maire qui doit ramasser des orties, de journaliste de la Gazette des Ardennes qui doit écrire un article à la gloire de l’Allemagne victorieuse.

Au revoir les enfants

Les jeunes acteurs appartiennent tous à la compagnie Les Chats bottés en balade, de Marie‑José Larose et Jean‑Louis Humblet, basée non loin de Stenay. Ils ont été « coachés » et mis en scène, l’espace de courts week-ends, par François Bourcier. Les textes viennent de témoignages recueillis sur place. L’entreprise est donc tout à la fois éducative et commémorative.

Ces jeunes acteurs font ce qu’il y a de plus difficile, sans doute : répéter le même texte en face-à-face, devant un, ou deux spectateurs qui oscillent entre la surprise, la résignation ou la bienveillance. Il faut dire, redire, faire, refaire, les yeux dans les yeux, la même chose. Tandis que le camarade d’à côté dit aussi son texte, il faut tenir le temps pour qu’on puisse tourner tous au signal donné, il faut lutter contre le plein air qui emporte les paroles, le mistral qui chasse les accessoires, les curieux qui s’amassent le long des grilles et qui commentent ce curieux spectacle.

Mais ces jeunes « amateurs » (mais que veut donc dire « amateurs » ?) ont la beauté de leur âge (ils ont entre 13 et 21 ans), et ils en ont aussi gardé encore intactes l’assurance tranquille et la justesse des enfants qui jouent. Que de ferveur dans leurs yeux quand ils vous racontent leur Stenay 1914. Ils y croient et veulent que vous y croyiez aussi. La fin ? Un message humaniste, rare sur les textes de 1914, que l’on vous laisse découvrir.

Rêvez ! C’est un ordre

C’est la paix, la liberté, on ressort, gentiment poussés par les infirmières, les soldats, les civils. Et après, quand toute la petite troupe vous encadre, jeunes comédiens impatients de savoir ce que vous en avez pensé, si ça vous a plu, on se hasarde à leur demander :

« Et alors, parmi vous, il y en a qui veulent devenir comédiens ? Comédiennes ? »
Silence un peu gêné, un peu embarrassé.
« Euh, professionnels, vous voulez dire ?
— En amateur, oui, ça c’est sûr, mais…
— C’est compliqué…
— C’est pas facile…
— C’est risqué, hein… »

Ah… Rêvez, jeunes gens de Stenay, Marine, Camille, Lorin, Nahel, Mathieu, Nathan, Constance, Perrine, Thomas, Marion, Benoît, Ludovic, Edan, Loïc, Adrien, Laure, Mélina et Hugo. Rêvez. C’est un ordre. 

Corinne François-Denève


Stenay 1914, d’Émilie Génaédig

Mise en scène : François Bourcier

Avec : Marine Arnould, Camille Challant, Lorin Champeaux, Nahel Chihab, Mathieu Courtet, Nathan Deneuve, Constance Derouin, Perrine Évrard, Thomas François, Marion Gérard, Benoît Guichard, Ludovic Lafrogne, Edan Mahé, Loïc Mathieu, Adrien Musset, Laure Remy, Mélina Roth, Hugo Wispelaere (Cie Les Chats bottés en balade)

Costumes : Servais M-A, Les Chierothains

Photo : © Corinne François-Denève

Cour du collège de La Salle • 5, place Louis-Pasteur • 84000 Avignon

À partir de 7 ans

Du 18 au 27 juillet 2014 à 19 h 20

Durée : 55 minutes

De 4,5 € à 7 €

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