« Tailleur pour dames », de Georges Feydeau, les Célestins à Lyon

« Tailleur pour dames » © Lorenzo Chiandotto

Étincelant et intelligent

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Après avoir monté Pasolini et Koltès, la petite jeune Louise Vignaud, qui s’apprête à prendre la direction du Théâtre des Clochards-Célestes, haut lieu de la création à Lyon, met en scène aux Célestins « Tailleur pour dames », une mise en pièces diablement bien tournée de Georges Feydeau.

La pièce est difficilement racontable. Non que l’intrigue soit particulièrement surprenante : on y retrouve les ingrédients chers à l’auteur, amants dans le placard, valets que l’immoralité de leur maître autorise à l’insolence, cocottes déguisées en dames (ou l’inverse), maris cyniques ou cocus si stupides qu’ils en paraissent complaisants, toute une petite société qui vit sur et des apparences. Mais Louise Vignaud y ajoute des épices qui les rendent irreconnaissables, déplacent le centre de gravité, font surgir le rire où on l’escomptait le moins et se craqueler les certitudes. Point alors l’inquiétude, quelque chose des mondes absurdes que créeront quelques décennies plus tard Beckett, Ionesco ou Pinget…

Moulineau, médecin de son état, qui souhaitait s’offrir en douce une petite escapade libertine a perdu ses clés après avoir attendu vainement sa maîtresse. Il se retrouve de fort mauvaise humeur et tout courbatu au petit matin sur le palier de son appartement pour apprendre que sa jeune épouse a découvert ses frasques, que sa belle-mère arrive, laquelle n’est pas commode, etc. Pour se soustraire à la cascade de désagréments qui s’annonce, Moulineau va s’enfoncer dans des mensonges de plus en plus gros, endossant des identités imprévues comme « tailleur pour dames ».

Le mari de la maîtresse, Aubin, et un importun maladroit, Bassinet, vont compléter ce jeu de cache-cache où chacun pour échapper à l’autre invente une histoire à dormir debout. Sans compter le valet Étienne qui fait monter les enchères en ajoutant son grain de sel et en prenant les ordres au pied de la lettre. Les femmes, quant à elles, sont tout aussi expertes dans l’art du mensonge, sauf la jeune épousée encore sous l’influence maternelle qui ne sait que pleurer. Bref, chacun ment éhontément pour dissimuler des tromperies dont pourtant tout le monde se fiche éperdument.

De l’adultère comme sauve-qui-peut

Comme toujours chez Feydeau, les reparties fusent, brillantes, révélant la perfidie, le cynisme, la goujaterie des personnages.

Louise Vignaud fait fonctionner à merveille cette mécanique bien huilée et cependant grinçante à souhait. Tout en mettant en évidence les engrenages qui mènent de mensonge en mensonge, de petit aménagement en grande lâcheté, elle éclaire avec finesse ce qu’ils dévoilent de fragilité, de dégoût de soi, de détresse. Pour cyniques qu’ils soient, elle nous montre en ces personnages de simples êtres humains pris dans les pièges du désir, avides de reconnaissance et incapables de nouer une relation authentique.

Tout d’abord par l’utilisation d’une scénographie, signée Guillemine Burin des Roziers, complètement décalée par rapport à l’époque de l’auteur. Nous voici dans une sorte de débarras encombré de cartons, percé d’ouvertures sans portes et agrémenté d’un escabeau surmonté d’un seau, ou en plein milieu d’un emménagement dans un appartement en pleins travaux. Univers peu propice à la stabilité, particulièrement conjugale… Les personnages y errent donc complètement désemparés, sans cesse en train de chercher leurs marques, ou tout bonnement un fauteuil pour s’asseoir. Parfois, un bruit sourd se fait entendre, tout s’arrête, la lumière baisse : l’un ou l’autre semble saisi d’une pensée, d’un pressentiment, d’un souvenir malvenu, brièvement authentique malgré lui. Ou c’est la bande-son qui a l’air d’obéir à des gestes inconscients. Ou encore le plumeau qui paraît animé d’une vie propre. Un petit côté surréaliste…

Entre deux actes, le même phénomène se reproduit. Tout en travaillant avec une précision de métronome à la déconstruction-reconstruction du décor, les acteurs poursuivent leur emploi devant nos yeux, mais dans la pénombre, comme s’ils n’étaient que des fantômes. Quant aux costumes de Cindy Lombardi, ils sont truffés de néologismes tordants comme lorsque Marief Guittier déboule sur scène, casque de moto sur la tête.

Tous ces détails n’en sont pas. Ils concourent à créer un monde bizarre, incontrôlable, parcouru de fissures inquiétantes.

Mais la plus grande force de Louise Vignaud réside dans la direction d’acteurs. Outre Marief Guittier, irrésistible dans le rôle de la belle-mère empoisonnante, Thomas Rortais confirme ici son grand talent. Il est impayablement drôle, tour à tour stressé et indolent, sans cesse à la limite de l’insolence, en valet futé qui n’en pense pas moins et n’en manque pas une. Quant à Maxime Mansion dans la peau de l’enquiquineur toujours à côté de la plaque, il compose un Bassinet d’un haut pouvoir comique.

Bref, il s’agit là d’un spectacle très réussi, virevoltant et malin, caustique et féroce, plus profond qu’il n’y paraît, propre à faire éclater le comique incisif de l’auteur. 

Trina Mounier


Tailleur pour dames, de Georges Feydeau

Mise en scène : Louise Vignaud

Avec : Prune Beuchat, Joseph Bourillon, Pauline Coffre, Marief Guittier, Maxime Mansion, Clément Morinière, Thomas Rortais, Charlotte Villalonga

Scénographe : Guillemine Burin des Roziers

Créateur lumière : Thibault Thelleire

Musique : Stéfan Chamolt

Créateur son : Lola Étiève

Créateur costumes : Cindy Lombardi

Photos : © Lorenzo Chiandotto

Production : Cie La Résolue

Coproduction : les Célestins à Lyon

Avec le soutien de l’Énsatt et de la Spedidam

Les Célestins • 4, rue Charles‑Dullin • 69002 Lyon

04 72 77 40 40

www.celestins-lyon.org

Du 18 au 28 janvier 2017 à 20 h 30, le dimanche à 16 h 30, le samedi à 15 h 30 et 20 h 30

Durée : 1 h 20

De 12 € à 23 €

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