« The Elephant in the Room » du Cirque Le Roux, Bobino à Paris

« The Elephant in the Room » © Francesca Torracchi

Vaudeville de haute voltige

Par Anne Cassou‑Noguès
Les Trois Coups

« The Elephant in the Room » est un spectacle de cirque, le premier duo de portés acrobatiques ne laisse aucun doute sur la question. Mais c’est aussi un hommage aux films noirs américains, une parodie du théâtre de boulevard, et bien d’autres choses encore !

Dès le lever du rideau, le spectateur est surpris. Il est comme projeté au cinéma, devant un film en noir et blanc. En effet, les décors sont noirs, gris et blancs. Quant au jeu de Lolita Costet, vêtue, comme il se doit, d’une tenue immaculée et d’une perruque blond platine, il est expressif, voire expressionniste. Il n’est pas sans rappeler les films muets. Après la scène initiale vient un générique, qui présente les principaux personnages et les équipes techniques. Il s’agit pour les artistes de célébrer le polar américain des années 1930 et 1940.

Car le spectacle s’apparente à une enquête autour d’un crime mystérieux. Miss Betty cherche à empoisonner son mari, mais la drogue disparaît, pour mieux réapparaître plus tard, après un tortueux cheminement, au cours duquel l’assassin pourrait bien être assassiné. L’œuvre fait aussi référence aux vaudevilles qui fleurissent sous le Second Empire. Une porte, qui ne sert à rien sinon à être claquée, devient d’ailleurs l’un des éléments essentiels de décor. Le mari, le colossal John Barick, son épouse novice, le séduisant Mr Chance, et le jeune Bouchon, valet roublard, l’utilisent pour fuir et se dissimuler.

The Elephant in the Room est une expression idiomatique qui désigne quelque chose que tout le monde voit ou sait, mais dont personne ne parle. C’est là le cœur du spectacle. Les corps y sont omniprésents avec une sensualité folle, mais ils sont corsetés dans des costumes impeccables, entourés d’un flot de paroles et de gestes polis. La référence à Hollywood, royaume du glamour et de l’hypocrisie morale, comme celle au Second Empire, pointe du doigt des sociétés qui affichent leur puritanisme pour mieux laisser libre cours à leurs désirs. L’érotisme explose dans une des rares scènes en couleur, alors que Grégory Arsenal et Yannick Thomas se livrent à un duo aussi lascif que spectaculaire sur un plateau garni de fruits qui évoque le péché originel. La musique, standards de jazz ou créations d’Alexandra Streliski, permet aux corps de trouver une liberté nouvelle.

Fake ?

Toutefois, en nous plongeant dans l’univers du cinéma, Charlotte Saliou nous fait également réfléchir sur le vrai et le faux. En effet, si le film nous apparaît en noir et blanc, c’est la faute de la caméra, c’est une faiblesse technique en quelque sorte. En revanche, dans le spectacle du Cirque Roux lui-même, tout est vraiment en noir et blanc. Pas de trucage, pas d’artifice technologique, mais des corps, donnés à voir sans filtre, des acrobaties sans filet. Nous ne sommes pas au cinéma, dans le monde de l’illusion, mais réellement au théâtre. Et c’est de là que naît toute la beauté du geste.

Les quatre artistes sont des équilibristes extraordinaires, qui défient sans cesse les lois de la gravité. Un bras qui tremble, une jambe qui hésite, et c’est l’émotion qui nous gagne. Nous frémissons à l’idée que tout pourrait s’effondrer, que les corps d’homme qui se déploient dans l’espace pourraient redevenir des masses maladroites et lourdes. Le risque est réel, la performance aussi. L’engagement des artistes, quant à lui, est total.

Ainsi, The Elephant in the Room est un spectacle unique en son genre qui mêle les arts et les références en une forme inouïe et immensément séduisante. Elle trouble et fascine à la fois. 

Anne Cassou‑Noguès


The Elephant in the Room, du Cirque Le Roux

Mise en scène : Charlotte Saliou

Intervenant / œil extérieur : Raymond Raymondson

Avec : Lolita Costet, Yannick Thomas, Gregory Arsenal, Philipp Rosenberg

Musique originale : Alexandra Streliski

Création costumes : Philip Rosenberg, Grégory Arsenal

Costumes : Emily Ockenfels

Photographie : Franck. W. Ockenfels III, Francesca Torracchi

Chorégraphie, claquettes, adagio : Brad Musgrove

Lumières : Hervé Dile

Bobino • 14‑20, rue de la Gaîté • 75014 Paris

Réservations : 01 43 27 24 24

Site du théâtre : www.bobino.fr

Du 28 septembre au 31 décembre, du mardi au samedi à 19 heures

Durée : 1 h 15

Tarifs : de 24 € à 54 €

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