Loufoquerie indigeste
Par Marion Le Nevet
Les Trois Coups
La compagnie Fouic Théâtre explore le rapport au temps en cherchant à déconstruire les codes du théâtre. Un spectacle futile et redondant, bien en deçà de ses ambitions.
Avide d’images et d’instantanéité, le public délaisserait le théâtre. C’est en partant de ce constat que Jean‑Christophe Dollé met en évidence l’opposition de forme et de valeur entre le théâtre et la communication moderne. Rivés à nos téléphones, nous perdrions patience, notre temporalité devenant de plus en plus en inadéquation avec celle du théâtre. Le metteur en scène compose alors un spectacle surréaliste, et imagine avec humour les déviances possibles d’un monde qui zappe.
La pièce raconte l’absence de pièce : texte disparu, comédiens hébétés, metteur en scène et auteur qui sortent de coulisses et interpellent le public. On s’arrête, on reprend, on revient en arrière, comme avec la vidéo. Dans cet éclatement des repères, le théâtre lutte pour exister, et surtout ne pas perdre les spectateurs. Cette joyeuse équipe se donne pour objectif de revaloriser le théâtre, montrer qu’il est indispensable. Dénoncer notre rapport consumériste à l’art, qui frôle le divertissement. « On veut pour 25 € de théâtre » clame un faux spectateur. Le cahier des charges du spectacle contemporain est également épinglé : longueur idéale, radicalité, rythme… Un départ assez jouissif et cocasse, déstabilisés que nous sommes par l’attaque franche des habitudes au théâtre, cassant son image sacrée. Ironie piquante, absence de sujet, les comédiens ne savent plus leur texte et peinent à s’exprimer. Nous nous retrouvons face à un Beckett actuel, enrichi de la communication en ligne et de la vidéoprojection.
Un univers au kitsch presque lynchien
Malheureusement, la mise en scène s’essouffle très vite par le manque de fond de la pièce. Tout est explicité lourdement : les codes visuels, comme la fameuse timeline (ligne qui s’affiche au cours de la lecture d’une vidéo pour signaler la durée restante), sont appuyés d’un surtexte inutile. Pire : en rejetant la modernité, l’auteur défend finalement une vision archaïque du théâtre. Pointant la subordination totale au texte, le comédien figurant le dramaturge semble totalement ignorer les écritures de plateau, improvisations et autres formes théâtrales aujourd’hui entrées dans la norme. Costumes datés et poussiéreux, scénographie faussement technique et pseudo-futuriste – bruits métalliques, lumière violette… Un univers au kitsch presque lynchien, bien loin de la technicité léchée et poétique de Joris Mathieu. Reprochant la perte d’humanité des supports virtuels et nouvelles technologies, le spectacle s’écarte de la vie et de ses contemporains.
On est fatigué par les revirements et fausses pistes dramaturgiques : il ne se passe rien et ne se dit rien, les comédiens ne cessent de râler et crier, mais sont totalement passifs, à la merci de la scénographie. On ne sait pas ce qu’ils veulent, eux ne savent pas pourquoi nous sommes là. Ils paraissent oppressés, et deviennent oppressants. Aucun personnage n’est réellement construit, les comédiens se raccrochent alors à un jeu démonstratif. L’urgence permanente, dans la volonté de rattraper le temps qui file, finit par brasser du vent.
Est-ce une métaphore ? Une parodie ? Les interludes vidéo moralisateurs laissent croire à la première option. Une fable joyeuse en surface, au message pessimiste… Le rapport au temps n’est qu’un prétexte pour en gagner : « On a acheté du temps » dira un des personnages en bout de course. Est-ce du théâtre conceptuel ? L’idée passionnante de rompre l’illusion de la scène et de la fiction est trop rapidement mise de côté, au profit d’un enchaînement de symboles grossiers. Peut-on légitimement reprocher aux spectateurs de se désintéresser du théâtre quand ses acteurs s’avouent vaincus d’avance ? ¶
Marion Le Nevet
Timeline, de Jean‑Christophe Dollé
Mise en scène : Clotilde Morgiève, Jean‑Christophe Dollé
Avec : Yann de Monterno, Clotilde Morgiève, Juliette Coulon, Félicien Juttner, Erwan Daouphars, Aurélie Vérillon, Élisa Oriol
Conception vidéo : Mathias Delfau
Conception sonore : Michel Bertier
Lumières : L.N.
Scénographie et costumes : Marie Hervé
Chorégraphie : Magali B
Musique : Jean‑Christophe Dollé
Photo : © D.R.
Théâtre du Girasole • 24 bis, rue Guillaume‑Puy • 84000 Avignon
Réservations : 04 90 82 74 42
Site du théâtre : http://theatredugirasole.fr/
Du 7 au 30 juillet 2016 à 22 h 30
Durée : 1 h 30
22 € | 15 €
À partir de 11 ans