« Tout va bien en Amérique », de Benoît Delbecq et David Lescot, Théâtre des Bouffes‑du‑Nord à Paris

Tout va bien en Amérique © Christophe Raynaud de Lage

Oncle Slam

Par Fabrice Chêne
Les Trois Coups

David Lescot et Benoît Delbecq, avec une tête d’affiche de charme en la personne d’Irène Jacob, présentent aux Bouffes du Nord un voyage musical qui revisite à sa manière l’histoire des États-Unis. Un spectacle au titre ironique où l’Amérique se dit, se chante, se raconte, avec les mots et les couleurs musicales d’aujourd’hui.

Un oratorio slammé et chanté : voilà comment se présente ce projet, né de la rencontre entre le collectif Stratégies obliques, le metteur en scène David Lescot et le cinéaste Éric Vernhes. Et c’est bien de cela qu’il s’agit en effet : une douzaine de tableaux comme autant de regards sur l’Histoire américaine. Un voyage qui commence avec l’arrivée de Christophe Colomb et les tout premiers contacts avec les populations indigènes, se poursuit avec la conquête de l’Ouest. Pas de visée totalisante pour autant, mais plutôt le choix de mettre en avant la face sombre du destin de ce pays, ses déchirements et ses drames – l’oppression dont ont été victimes les Indiens, puis les esclaves, la partie la plus intéressante du spectacle étant précisément consacrée à la question noire.

Abolir les frontières : tel semble être le mot d’ordre des artistes, venus d’horizons très divers. Mélange des genres d’abord – théâtre et musique – qui n’a plus rien de surprenant, mais auquel les images vidéo d’Éric Vernhes ajoutent ici une dimension. Télescopage des styles musicaux ensuite, sans souci de chronologie : dans Tout va bien en Amérique, la musique, jouée en direct sous la houlette de Benoît Delbecq, va du gospel au rap en passant par la soul, voire la musique tribale, le tout avec une liberté empruntée à l’esprit du jazz. Frottement des langues, enfin, puisque les deux idiomes, français et américain, ne cessent tout au long du spectacle de dialoguer, à l’image du rappeur français D’ de Kabal et de son homologue américain Mike Ladd.

Patchwork

À Irène Jacob, que l’on n’attendait pas forcément dans ce rôle, revient la fonction de récitante. Elle s’impose avec aisance et naturel, et prête son beau timbre de voix à des textes écrits pour l’occasion par David Lescot, ainsi qu’à des poèmes de Walt Whitman et Charles Reznikoff. Elle démontre aussi au passage des talents de chanteuse. Lescot se plaît à détourner les clichés, n’hésitant pas à métamorphoser son interprète en artiste de cabaret blond platine pour une ministrel song sur la récolte du coton, avec la complicité de D’ de Kabal qui slamme sur le Ku Klux Klan. Toutes les idées ne sont pas aussi bonnes, et à d’autres moments le metteur en scène se montre moins inspiré (l’évocation quelque peu interminable du film John Mc Cabe de Robert Altman).

C’est l’écueil des spectacles de ce genre : difficile d’éviter l’aspect patchwork. Bien que savamment imbriqués les uns dans les autres, les tableaux sont de longueur variable et d’intérêt inégal. On regrette qu’un bref spiritual passe si vite, tandis que tels autres passages récités traînent en longueur (d’autant que les textes de Lescot sont, disons, inégaux). L’originalité est pourtant au rendez-vous, et surtout à rechercher dans la forme et le ton adopté, souvent parodique et second degré. La création vidéo d’Éric Vernhes y contribue : sur un écran géant placé au centre du plateau, qui joue sur la transparence, sont projetées en alternance d’étonnantes images d’archives de l’espace urbain américain et d’autres, retravaillées, des musiciens en action.

Moments polyphoniques

L’oreille aux aguets, le spectateur attend la musique, et sur ce plan-là il n’est jamais déçu. Les deux chanteurs américains, Ursuline Kairson et Mike Ladd, font monter la température dès qu’ils apparaissent. Dans ce spectacle, c’est elle, la musique, qui porte l’émotion, et les moments les plus réussis sont aussi les plus polyphoniques, lorsque les voix des différents interprètes se fondent. La longue Work Song de Mike Ladd constitue à cet égard un temps fort. Chanteur ? rappeur ? slammeur ? Cet artiste au style hybride est un peu tout ça à la fois. Il est surtout un formidable interprète. Sa voix voilée, son corps habité par la musique et le rythme des mots, valent à eux seuls le déplacement. Franco Mannara n’est pas en reste, qui délaisse un moment ses guitares et autres gadgets électroniques, pour venir de façon drolatique évoquer l’immigration sicilienne, et se livrer à une réjouissante parodie de numéro de claquettes. 

Fabrice Chêne


Tout va bien en Amérique, un essai théâtral et musical de Benoît Delbecq et David Lescot

Mise en scène : David Lescot

Direction musicale : Benoît Delbecq

Avec : Steve Argülles (batterie), D’ de Kabal (texte, chant), Benoît Delbecq (piano, claviers, électronique, chant et texte), Irène Jacob (texte et chant), Ursuline Kairbon (chant gospel et texte), Mike Ladd (rap, texte, claviers et électronique), Franco Mannara (guitares, électronique, chant et texte), Éric Vernhes (cinéaste électronique)

Assistante à la mise en scène : Linda Blanchet

Scénographie : Éric Vernhes

Lumières : Paul Beaureilles

Costumes : Sylvette Dequest

Photo :  © Christophe Raynaud de Lage

Théâtre des Bouffes-du-Nord • 37 bis, boulevard de la Chapelle • 75010 Paris

Métro : La Chapelle

Réservations : 01 46 07 34 50

www.bouffesdunord.com

Du 19 mars au 6 avril 2013, du mardi au samedi à 21 heures

Durée : 1 h 35

30 € | 25 € | 20 €

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