Trisha Brown Dance Company, trois pièces, Théâtre national de Chaillot à Paris

Salle de spectacle

Hommage à Trisha Brown en trois temps trois mouvements

Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Le Théâtre national de Chaillot rend hommage à une figure majeure de la danse américaine postmoderne. Au programme, trois pièces d’exception qui retracent vingt‑cinq années de danse : « Set and Reset » (1983), « You Can See Us » (inspiré du solo « If You Couldn’t See Me » (créé en 1994) et « l’Amour au théâtre », une première française.

L’œuvre foisonnante de Trisha Brown procède par périodes. Chaque étape est en rupture avec la précédente, mais illustre une même démarche expérimentale autour du mouvement. C’est ce mélange de rupture et de continuité que mettent en exergue les trois pièces présentées à Chaillot : chacune représente une strate de l’œuvre, et l’ensemble permet de retracer le parcours de la chorégraphe.

Dès les années 1960, la danse de Trisha Brown s’inscrit dans un mouvement qui veut à la fois rompre avec le ballet classique et avec une danse moderne devenue institutionnelle. La jeune femme commence par fréquenter l’atelier d’Anna Halprin, qui dispense en Californie un enseignement fondé sur l’improvisation et la libre association. Elle se produit ensuite avec tout un groupe de performeurs et d’artistes dans une église de New York, la Judson Church (le groupe se baptise bientôt « le Judson Dance Theater »), avant de créer sa propre compagnie en 1970. Avec ses propres « acteurs de la performance », elle investit des lieux alternatifs (toits, façades), qui bousculent les codes de représentation habituels et rapprochent l’art de la vie. Marcher sur des supports non horizontaux lui permet d’explorer les jeux de gravité, et notamment les effets de la pesanteur sur le corps.

Cette analyse expérimentale du mouvement se poursuit avec Set and Reset, en 1983 (c’est la première pièce du programme). Trisha Brown fait appel à Laurie Brown pour la musique et à Rauschenberg pour la scénographie. Ce dernier conçoit un prisme suspendu sur lequel des images télévisuelles du monde contemporain (en noir et blanc) sont projetées. Les danseurs, vêtus de costumes transparents sur lesquels sont reprographiées des images faisant écho au décor, forment des duos et trios à l’intérieur du rectangle de la scène et en explorent également les bordures. Cette danse géométrique et fluide, faite de chutes, de rebonds, de déséquilibres, de tensions entre le vertical et l’horizontal, d’accumulations de mouvements et de consignes (« agis en fonction de ton instinct », « travaille sur la visibilité et l’invisibilité ») incarne formidablement l’idée de modernité au sens baudelairien (la ville, la vitesse, le mouvement). Résolument novatrice, elle n’emprunte à aucune tradition ou technique préexistante, mais s’inspire plutôt de mouvements non dansés : la marche, la course, les gestes des animaux ou de jeunes enfants, la méthode Alexander qui privilégie une certaine posture de la nuque, la kinésiologie (analyse du mouvement). Ce langage gestuel étonnant est aussi influencé par les philosophies orientales et les échanges avec le plasticien Rauschenberg.

« Set and Reset » © Ikegani Naoya Saitama / Arts Foundation
« Set and Reset » © Ikegani Naoya Saitama / Arts Foundation

Trisha Brown approfondit ses recherches sur le mouvement avec If You Couldn’t See Me – un solo dansé de dos par la chorégraphe elle-même, puis « transféré » à Mikhail Baryshnikov. You Can See Us (deuxième pièce du programme) en est la version duo : deux danseurs fulgurants, auréolés d’une lumière rouge irréelle, dialoguent sans se regarder ni se toucher, dans une tension extrême. Le public ne voit que le dos de la danseuse – qui incarne la source de tout mouvement. Un pur ravissement.

À partir de 1995, la chorégraphe commence à créer avec et à partir d’une musique classique : l’Offrande musicale de Bach, Orfeo de Monteverdi, etc. Ce travail pour l’opéra et l’exploration continue de nouveaux territoires aboutiront à l’Amour au théâtre, dernière pièce du programme de cette soirée exceptionnelle. Cette création prend en effet sa source dans l’opéra baroque de Jean‑Philippe Rameau, Hippolyte et Aricie. On y voit les corps des danseurs s’enchevêtrer, s’emboîter dans des duos ou trios athlétiques, aériens et imprévisibles (les femmes portent les hommes, et certains se prennent pour des chevaux ou des chasseurs). La fluidité des gestes mime la musicalité de la composition de Rameau et l’allégresse de la vie. Cette danse jubilatoire, poétique, humoristique, abstraite, témoigne d’années d’exploration du mouvement et constitue un merveilleux hymne à la danse.

Pour ceux qui voudraient en savoir davantage sur l’histoire des mouvements browniens, le Centre national de la danse présente jusqu’au 4 décembre 2009 une exposition vidéographique et un programme de pièces des années 1970. Le C.N.D. propose également des formations et un « Laboratoire mémoriel ». 

Lorène de Bonnay


Trisha Brown Dance Company : trois pièces

Chorégraphie : Trisha Brown

Avec : Leah Morrison, Melinda Myers, Tamara Riewe, Laurel Tentindo, Dai Jian, Jung Hyun‑jin, Todd Stone, Nicholas Strafaccia

Scénographie : Robert Rauschenberg ou Trisha Brown

Musique : Laurie Anderson, Robert Rauschenberg, Philippe Rameau

Lumière : Beverly Emmons, Robert Rauschenberg, Jennifer Tipton

Costumes : Robert Rauschenberg, Elizabeth Cannon

Photo : Naoya Ikegani-Arts Foundation

Théâtre national de Chaillot • 1, place du Trocadéro • 75016 Paris

http://www.theatre-chaillot.fr

Du 15 au 18 octobre 2009 à 20 h 30, dimanche à 15 h 30

27,5 € | 21 € | 12 €

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