« Trissotin ou les Femmes savantes », de Molière, les Nuits de Fourvière à Lyon

« Trissotin ou les Femmes savantes » © Loll Willems

Macha Makeïeff
ose la critique
d’un féminisme intégriste

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Après deux représentations annulées pour cause de pluie, c’était, enfin, la première nuit pour « Trissotin ou les Femmes savantes ». Public et comédiens étaient chauffés à blanc. Ce fut un triomphe.

On lie souvent les Femmes savantes aux Précieuses ridicules. Bien sûr, Molière se moque de ces femmes qui se piquent de fréquenter les beaux esprits et dédaignent d’écouter les simples mouvements de leur cœur. Certes, dans quelque tirade bien sentie, il dénonce le pouvoir de femmes qui feraient mieux de s’occuper de leurs « pots » que de cornues et semble réclamer le retour de l’ordre, viril évidemment. Mais ce rapprochement ne tient qu’à un fil : avant-dernière pièce de Molière, écrite dix ans après le Misanthrope et Tartuffe, les Femmes savantes est une comédie grave qui démonte des mécanismes sociaux capables de détruire des familles et des vies. Loin de refuser aux femmes le droit de s’instruire, il montre comment, croyant s’élever, elles s’abaissent à suivre aveuglément des sots prétentieux et intéressés, camouflés en savants. Il dépeint, dans la foulée, des maris dépassés et trop lâches pour assumer leurs responsabilités, laissant commettre des crimes en détournant les yeux.

Les personnages des Femmes savantes sont plus subtils qu’il n’y paraît, et les alexandrins qui composent les cinq actes de la pièce la preuve d’une écriture à la fois raffinée et efficace. Et alors que les Précieuses datent quelque peu, ces Femmes savantes-là, surtout transposées dans les années 1970 par Macha Makeïeff, retrouvent toute leur actualité.

Femmes foldingues, maris dépassés

Ces années 1970 qui ont inventé le féminisme offrent, il est vrai, une belle caisse de résonance à la comédie de Molière. Elles ne déparent ni ne desservent le propos. Nous voici donc au cœur d’une maison bourgeoise où tout va de travers, on le sait dès le début. Dans la famille, on trouve deux frères : Chrysale est le maître de céans, du moins sur le papier. Son frère est honnête homme. Quant à leur sœur, Bélise, c’est le prototype du personnage de farce, une pauvre vieille fille frustrée qui, à force de fréquenter les hauteurs, ne décrypte plus le réel et s’imagine à tort avoir séduit tous les hommes. Elle fait partie du gang des Femmes savantes dont Philaminte est le chef de troupe et Armande, la fille aînée de la famille, la victime annoncée, future Bélise. Ajoutons à cet attelage un amoureux plutôt décidé et courageux (c’est rare chez Molière), Clitandre, et deux sœurs rivales, Henriette et Armande. Et enfin, et surtout, Trissotin, tel un Tartuffe dont la grimace serait, non la dévotion, mais l’amour de la science. Comme lui, c’est un parasite qui sait utiliser à son profit la lubie de celui qu’il séduit.

Dans ce foyer où la maîtresse de maison commande, mais surtout commande à tort et à travers, et de préférence le contraire de ce qu’a proposé son époux, tout va à vau-l’eau : les valets ont compris depuis belle lurette qu’un mot de grec leur évite de nettoyer les vitres, « on n’y respecte rien, chacun y parle haut et c’est tout justement la cour du roi Pétaud ! »

À quoi tient précisément la réussite de ces Femmes savantes ? Comme toujours à un subtil équilibre. D’abord à son excellent choix d’acteurs. Vincent Winterhalter, notamment, en Chrysale désemparé aux brusques accès d’autorité, est formidable, Marie‑Armelle Deguy campe avec élégance et maestria une coquette extravagante prête à écraser tout le monde, et en premier lieu ses filles. La sélection du ténor Thomas Morris en Bélise se révèle une idée particulièrement croquignolesque : il chante les vers qu’elle devrait dire, leur donnant du coup un rythme et une tonalité comique du meilleur effet. Ce n’est d’ailleurs pas le seul « travesti » de cette mise en scène, car Trissotin, s’il est bien incarné par un homme, ressemble à s’y méprendre à Conchita Wurst, dont les excès ne gomment pas, bien au contraire, le caractère vénéneux.

Distribution de haute volée

Le choix des acteurs n’est rien sans la direction d’acteurs, et elle est très efficiente. Ces Femmes savantes sont une comédie brillante et enlevée dont la mécanique ferait presque parfois penser à du Feydeau. Certaines scènes sont particulièrement gourmandes, comme celle où le dragon Bélise se met à cracher le feu par elle allumé.

Les scènes entre les amoureux, souvent vieillottes, sont ici dépoussiérées et surtout, surtout, le personnage d’Armande prend sous l’œil de Macha Makeïeff l’épaisseur d’une héroïne tragique. Cachée derrière la vitre, dès l’ouverture, à épier avec envie la scène d’amour entre sa sœur et son amant, elle y retournera à la fin, une fois ses avances repoussées, sa vie détruite par son propre aveuglement.

Enfin il faut applaudir la diction parfaite de tous. Jamais sans doute, on n’aura aussi bien fait entendre les vers de Molière qui, par les conseils de Valérie Bezançon, deviennent lumineux. Une belle réussite à saluer comme il se doit ! 

Trina Mounier


Trissotin ou les Femmes savantes, de Molière

Mise en scène, décor et costumes : Macha Makeïeff

Avec : Marie-Armelle Deguy, Vincent Winterhalter, Arthur Igual, Maud Wyler, Vanessa Fonte, Geoffroy Rondeau, Thomas Morris, Ivan Ludlow, Atmen Kelif, Camille de la Guillonnière, Karyll Elgrichi, Arthur Deschamps

Assistants à la mise en scène : Gaëlle Hermant, Camille de la Guillonnière

Lumières : Jean Bellorini, assisté d’Olivier Tisseyre

Créateur son : Xavier Jacquot

Coiffures et maquillages : Cécile Kretschmar, assistée de Judith Scotto

Assistante à la scénographie et aux accessoires : Margot Clavières

Construction d’accessoires : Patrice Ynesta

Assistante aux costumes : Claudine Crauland

Régisseur général : André Néri

Iconographe : Guillaume Cassar

Diction : Valérie Bezançon

Fabrication du décor : Atelier Mekane

Stagiaires (pavillon Bosio) : Amandine Maillot, Sinem Bostanci

Photo : © Loll Willems

Production : Théâtre national de Marseille-La Criée

Coproduction : les Nuits de Fourvière et Théâtre Gérard-Philipe, C.D.N. de Saint-Denis, C.D.R. Tours, C.D.N. Orléans

Dans le cadre des Nuits de Fourvière 2015

www.nuitsdefourviere.com

L’Odéon, les 12, 13 et 15 et 16 juin 2015 à 21 h 30

Plein tarif : 30 € | Jeune : 25 € | Pass : 22,50 €

Tournée :

  • C.D.N. Orléans-Loiret-Centre – du 30 septembre au 3 octobre 2015
  • Maison de la culture d’Amiens (M.C.A.) – 6 et 7 octobre 2015
  • Théâtre Louis-Aragon, Tremblay-en-France – 10 octobre 2015
  • Théâtre national de Nice – du 15 au 18 octobre 2015
  • La Comédie de Reims, C.D.N. – du 3 au 6 novembre 2015
  • Théâtre Gérard-Philipe, C.D.N. de Saint-Denis – du 11 au 29 novembre 2015
  • M.A.C. scène nationale de Créteil – du 2 au 5 décembre 2015
  • N.T.A. (Nouveau Théâtre d’Angers) – du 8 au 11 décembre 2015
  • La Criée, Théâtre national de Marseille – du 16 décembre au 17 janvier 2016
  • Centre dramatique régional de Tours – du 20 au 29 janvier 2016
  • Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire – du 3 au 5 février 2016
  • Le Parvis, scène nationale Tarbes-Pyrénées – 8 et 9 février 2016
  • Domaine d’O, Montpellier – 12 et 13 février 2016
  • Le Manège, Maubeuge – 23 et 24 février 2016
  • Théâtre en Dracénie, Draguignan – 27 février 2016 (date à confirmer)
  • Théâtre Liberté, Toulon – du 2 au 4 mars 2016
  • Théâtre de l’Archipel, scène nationale Perpignan – 8 et 9 mars 2016

Tournée 2017

  • Comédie de Clermont-Ferrand, 15 au 17 février
  • Théâtre le Forum de Fréjus, 28 février
  • Théâtre la Colonne de Miramas, 3 mars
  • Comédie de Béthune, 7 au 10 mars
  • Carreau de Forbach, 15 et 16 mars
  • Théâtre municipal de Saint‑Quentin-en‑Picardie, 29 et 30 mars
  • Théâtre du Beauvaisis, 5 et 6 avril
  • Espace Zinga-Zanga de Béziers, 20 avril
  • Le Cadran, scène nationale d’Évreux, 25 avril
  • Le Pian’ocktail, Théâtre du Bouguenais, 29 avril
  • Théâtre de Saint‑Quentin-en‑Yvelines, 3 au 5 mai

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