« Trois ruptures », de Rémi De Vos, le Lucernaire à Paris

« Trois ruptures » © Othello Vilgard

Scènes de méninges

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Les histoires d’amour finissent mal (en général), mais avec Rémi De Vos, la rupture ne peut pas suivre les normes. Son analyse féroce de la condition humaine, passée au crible de l’absurde, méritait une mise en scène au scalpel et une interprétation savoureuse. Voilà chose faite avec cet excellent spectacle.

Pourquoi se séparer d’un commun accord alors qu’une rupture déchirante est la meilleure façon de montrer à l’autre qu’il a beaucoup compté ? Elle a préparé un repas d’adieu parce qu’elle ne supporte plus Diva, la chienne de son mari, et ce repas va leur rester en travers de la gorge, l’un comme l’autre. Il a rencontré quelqu’un, un pompier, et c’est précisément ce qui met le feu aux poudres. Ils ont un enfant, qu’ils détestent, et leur couple va exploser. Trois couples. Trois ruptures. Trois histoires bien ficelées qui volent vraiment haut ! Ces pervers narcissiques qui se livrent au harcèlement font froid dans le dos. Pourtant, c’est d’une insoutenable drôlerie. Dinguerie, pourrait-on dire, tant les situations sont poussées à l’absurde. Chez Rémi De Vos, le rire est un exutoire à la folie.

Ici, le couple devient le lieu ultime du combat. Les coups bas mettent K.‑O. et les joutes verbales laissent pantois. Et pas seulement quand c’est c(r)u(l) ! Ce n’est pas la première fois que cet auteur aborde la violence. Dans Cassé, elle est avant tout sociale, car elle se répercute jusque dans l’intime. Dans Occident, elle n’est pas sans lien avec la montée des extrémismes. Dans Trois ruptures, cette violence semble plus circonscrite. Qui parviendra à prendre le pouvoir sur l’autre avec le plus de cruauté ? Qui va quitter l’autre ? Mais au-delà de ces rapports de domination, le texte ébranle aussi certains fondamentaux de nos sociétés : la place de la femme, l’homosexualité, la toute-puissance de l’enfant.

Un théâtre d’acteurs

Rémi De Vos a commencé par être comédien. Sa connaissance des ressorts du jeu lui a permis de tracer un théâtre de situations et de dialogues. Et quels dialogues ! D’une efficacité redoutable. Johanna Nizard et Pierre‑Alain Chapuis se saisissent avec gourmandise de cette écriture incisive et percutante. Le couple, que l’on retrouve dans les trois séquences, enchaîne les scènes et les répliques selon une partition musicale très précise : allegro pour Sa chienne, moderato pour Pompier et furioso pour Un enfant. Enfin, au-delà de la mise en bouche, les acteurs donnent à voir la solitude des corps. Ainsi nous permettent-ils de découvrir ce qui lie aussi ces couples. Plutôt, ce qui les attache !

Les interprètes, exceptionnels, servent remarquablement le texte. Mais la mise en scène au scalpel d’Othello Vilgard contribue également beaucoup à la qualité du spectacle. Il n’y a pas que l’amour qui tient à un fil ! Monter Rémi De Vos, c’est un peu comme mettre en scène Feydeau : de la mécanique plaquée sur du vivant. Cela demande beaucoup de doigté… Outre la direction d’acteurs (précise), le sens du rythme et le goût de l’épure, relevons le soin particulier accordé à l’élaboration sonore et visuelle du spectacle.

De la même manière que les trois parties du texte sont jouées en continu (et non comme trois pièces autonomes), les espaces de jeu évoluent sur un même plan, comme les trois parties d’un tout. Le public est voyeur, car il s’immisce dans la vie de ces couples en les observant à travers la vitre de leur appartement. Le plateau est sonorisé. On a malgré tout une vision distanciée, non naturaliste, notamment grâce à la stylisation de la mise en scène qui expose, à gros traits, ces personnages saisis sur le vif, et à une esthétique froide, presque clinique.

Le formidable accueil critique et public de cette première mise en scène devrait encourager Othello Vilgard à poursuivre. Il faut dire que la compagnie Solaris, qu’il a créée avec Rémi De Vos, est née du désir de pousser plus avant leur connivence artistique. Et cela ne fait pas l’ombre d’un doute : cette complicité-là est hautement inventive. Bravo ! 

Léna Martinelli


Trois ruptures, de Rémi De Vos

Actes Sud-Papiers, 2014

Cie Solaris • 11, rue des Fossés-Saint-Marcel • 75005 Paris

06 71 62 50 25

Courriel : solariscompagnie@gmail.com

Mise en scène : Othello Vilgard

Avec : Pierre-Alain Chapuis et Johanna Nizard

Assistante à la mise en scène : Louise Loubrieu

Lumières : Franck Thévenon

Costumes : Cécile Ponet et Fleur Peyfort

Photo : © Othello Vilgard

Le Lucernaire • 53, rue Notre-Dame-des-Champs • 75006 Paris

Réservations : 01 45 44 57 34

Site du théâtre : www.lucernaire.fr

Du 26 novembre 2014 au 31 janvier 2015, du mardi au samedi à 18 h 30

Durée : 1 heure

25 € | 15 € | 10 €

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