« Un mois à la campagne », d’Ivan Tourgueniev, La Comédie de Saint-Étienne

« Un mois à la campagne » – Mise en scène d’Alain Françon © Michel Corbou

Françon donne à Grinberg la clé des champs

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Dans « Un mois à la campagne » de Tourgueniev, Alain Françon réunit une distribution exceptionnelle. Il confirme son art de faire rire et sourire, sans rien céder sur la nostalgie profonde de la pièce.

D’abord, Alain Françon bénéficie d’une nouvelle traduction très enlevée de Michel Vinaver. Cette dernière est sans doute pour beaucoup dans la réussite et la modernité de l’intrigue – en bref, un étudiant dérange la tranquillité de vacances en famille. Tout concourt à une sorte de langueur heureuse, bien que le feu couve. L’habitude d’abord : le lieu a cette douce mélancolie des demeures pleines de souvenirs. Ceux qui y séjournent se connaissent de longue date, ils ont leurs jeux et leurs joutes bien huilés. Les maîtres, Arkady (Guillaume Lévêque) et son épouse Natalia, se sont retirés sur leurs terres, accompagnés de leur maisonnée : une belle-mère, un fils, Véra (India Hair), une jeune fille pauvre recueillie par charité, et l’ami de la famille, Rakitine. Les habituels visiteurs, des notables de province, apportent leur lot d’amusement.

Mais il y a cette année un personnage supplémentaire : le très jeune précepteur de Véra. Il joue encore comme un enfant à courir dans le jardin, mais il montre un corps d’homme bronzé par le grand air. Sans le savoir, Alexeï (Nicolas Avinée), tel le visiteur de Théorème de Pasolini, va troubler les cœurs et les corps. Le jeune homme a bien des atouts. Il est l’inconnu, celui qui par sa seule présence déclenche des émois si inhabituels que, dans un premier temps, Véra et Natalia ne les reconnaissent pas.

« Un mois à la campagne »  – Mise en scène d’Alain Françon © Michel Corbou
« Un mois à la campagne » – Mise en scène d’Alain Françon © Michel Corbou

Désirs et sautes d’humeur

L’adolescente sent son cœur frémir. Avec l’amour, elle découvre qu’elle n’est plus une enfant. Elle se dresse comme une rivale face à Natalia, incarnée par Anouk Grinberg au mieux de son art : sa voix très particulière, affectée, presque sophistiquée, renforce le caractère capricieux et lunatique, autoritaire et puéril de la maîtresse de maison. Elle règne sans conteste sur son petit monde, et tout particulièrement sur Rakitine, qui cède à ses désirs et à ses sautes d’humeur. Tour à tour insupportable et touchante, elle se joue cruellement des autres sans comprendre ce qui la submerge.

À ses côtés, tous les comédiens sont excellents. Micha Lescot développe ainsi un jeu complexe, dans le rôle de Rakitine, le confident rabroué puis cajolé, aveugle à ce qui se trame, comme tous. Le talent comique de Jean-Claude Bolle-Reddat fait des merveilles.

« Un mois à la campagne »  – Mise en scène d’Alain Françon © Michel Corbou
« Un mois à la campagne » – Mise en scène d’Alain Françon © Michel Corbou

La direction d’acteurs d’Alain Françon est impeccable. Il n’a pas son pareil pour peindre une atmosphère, suggérer ce qui est tu, faire entendre les subtilités d’un texte. Le décor consiste simplement en une longue frise impressionniste couverte de fleurs champêtres, en fond de scène. Rentre-t-on dans la maison ? Le décorateur Jacques Gabel ajoute quelques meubles sur le devant, voire une cloison, mais il laisse apercevoir par de grandes fenêtres ouvertes cette nature exubérante.

Ce spectacle admirable, délicat et profond doit beaucoup à son créateur Alain Françon, mais aussi à Michel Vinaver, qui a traduit et adapté Tourgueniev, ainsi qu’à Anouk Grinberg, irrésistible !  

Trina Mounier


Un mois à la campagne, d’Ivan Tourgueniev

Nouvelle traduction et adaptation de Michel Vinaver

Le texte est édité chez L’Arche Editeur

Mise en scène : Alain Françon

Décor : Jacques Gabel

Costumes : Marie La Rocca

Lumières : Joël Hourbeigt

Musique : Marie-Jeanne Séréro

Avec : Nicolas Avinée, Jean-Claude Bolle-Reddat, Laurence Côte, Catherine Ferran, Philippe Fretun, Anton Froehly, Anouk Grinberg, India Hair, Micha Lescot, Guillaume Lévêque

Durée : 2 heures

Photo © Michel Corbou

La Comédie de Saint-Étienne • Place Jean Dasté • 42000 Saint-Étienne

Du 24 au 26 janvier 2018 à 20 heures

En tournée :

  • MC2 Grenoble, du 30 janvier au 1er février

  • Théâtre de l’Union-Centre dramatique national du Limousin à Limoges, du 6 au 9 février
  • Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-Centre dramatique national, 14 et 15 février

  • Théâtre de la Manufacture-Centre dramatique national à Nancy, du 20 au 23 février

  • La Comédie de Clermont-Ferrand-scène nationale, les 27 et 28 février
  • Théâtre Déjazet à Paris, du 9 mars au 28 avril 2018

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