« Une année sans été », de Catherine Anne, Ateliers Berthier à Paris

Une année sans été © Élisabeth Carecchio

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Par Lorène de Bonnay
Les Trois Coups

Joël Pommerat, « créateur de spectacles » qui allie toujours écriture et mise en scène, a choisi de monter le premier texte de Catherine Anne, écrit en 1987. Il a même délaissé sa troupe habituelle pour « accompagner » de jeunes comédiens qui débutent. Que de premières fois avec « Une année sans été » – une pièce justement initiatique !

« C’est en plaçant les personnes dans les conditions réelles de la création et de la vie d’un spectacle sur la durée qu’on les fait mieux évoluer et grandir », assure Pommerat. Désireux de transmettre, l’artiste a donc élaboré un projet avec sa compagnie Louis-Brouillard. Durant quatorze semaines, de jeunes gens (dans le domaine du jeu, mais aussi de la mise en scène, du son, de la lumière et de la scénographie) ont ainsi été invités à monter la pièce Une année sans été. Pour se consacrer pleinement à ce travail de transmission et d’accompagnement, Pommerat a décidé d’aborder autrement le théâtre en se mettant en retrait de l’écriture textuelle : il a choisi de confronter les comédiens Carole Labouze, Franck Laisné, Laure Lefort, Rodolphe Martin et Garance Rivoal aux mots de Catherine Anne. Celle-ci avait accueilli son Petit Chaperon rouge dans le Théâtre de l’Est-Parisien qu’elle dirigeait alors. Surtout, elle avait écrit et mis en scène au Théâtre de la Bastille, en 1987, un texte qui l’avait durablement marqué.

Une année sans été évoque le parcours initiatique de cinq personnages d’environ vingt ans, au début du xxe siècle. Gérard, qui cherche à se connaître et se pique d’écrire, quitte sa campagne pour s’installer dans une chambre de bonne à Paris. Il a été encouragé par Anna, une Allemande tentée aussi par l’écriture, mais travaillant dans le bureau de son père pour la rigide Mademoiselle Point. Gérard fait la connaissance de Louisette – la fille de sa propriétaire – qui ne cesse de voir le fantôme de son frère dans la chambre et s’éprend de lui. Il attire aussi le jeune et riche poète Auguste Dupré, qui craint l’enfermement d’un mariage bourgeois prévu par ses parents. Anna le visite, avant de repartir en voyage : le désir d’écrire n’étant pas assez nécessaire, elle a besoin de trouver un sens à son existence. Les mois passent. Certains personnages sont partis, d’autres sont revenus. Plusieurs ont perdu leurs parents, mais se rendent compte que l’enfance est toujours tapie au fond d’eux. Alors, les orphelins se rapprochent, se soutiennent, trouvent leur vocation, s’épanouissent dans un printemps qui sera éternel puisque la Première Guerre mondiale vient briser la fleur de cette jeunesse.

Avec ce projet, Pommerat revient donc sur son entrée dans l’âge adulte, son désir d’écrire, la vocation artistique. Car ce texte de jeunesse, irrigué par les œuvres de Rilke (les Cahiers de Malte Laurids Brigge et Lettres à un jeune poète) ne parle que de cela : Malte Laurids Brigge est un jeune poète de vingt‑huit ans, solitaire et maladif, fraîchement arrivé à Paris, qui rédige un journal intime composé de fragments poétiques : il évoque sa famille, ses fantômes et « apprend à voir » pour écrire. Quant aux Lettres, elles constituent les réponses de Rilke, alors âgé de vingt‑six ans, à un jeune militaire de vingt ans qui lui envoie des vers.

Le sortilège de l’écriture scénique

La mise en scène de Pommerat enchante ce drame bourgeois assez banal, à l’écriture très simple et au charme suranné. Des tableaux à peine éclairés se succèdent, séparés par des fondus au noir. Les lumières faibles et la scénographie (espace noir bouché, carré blanc figurant la fenêtre, néons horizontaux symbolisant le mouvement) agissent comme de la poussière de fée : les personnages deviennent des points lumineux (évoquant la lumière fragile du printemps, l’espoir de la jeunesse et de la création) sur une ligne noire (métaphorisant le fil de l’histoire et de l’Histoire tragique de la guerre). L’amplification des voix grâce aux micros agrandit les personnages. Les sons, la musique, la chanson du printemps, produisent une intensité dramatique. Mais tout le charme de cette écriture scénique, si aisément reconnaissable de spectacle en spectacle, ne suffit pas à transfigurer le texte et l’univers évoqué. On comprend que Pommerat se soit concentré sur le travail de mise en situation artistique de ses jeunes comédiens, mais on regrette la puissance de son verbe. Les jeunes comédiens ont beau être très prometteurs – en pleine éclosion ou tout près de l’être –, le spectacle, de qualité, n’atteint pas la puissance des précédents. Il manque la magie des mots. 

Lorène de Bonnay


Une année sans été, de Catherine Anne

Texte publié aux éditions Actes Sud-Papiers

Cie Louis-Brouillard • 37 bis, boulevard de la Chapelle • 75010 Paris

Mise en scène : Joël Pommerat

Avec : Carole Labouze, Franck Laisné, Laure Lefort, Rodolphe Martin, Garance Rivoal

Scénographie et lumières : Éric Soyer

Son : François Leymarie

Musique : Antonin Leymarie

Dramaturgie : Marion Boudier

Collaboration artistique : Saadia Bentaïeb, Philippe Carbonneaux, Marie Piemontese

Photo : © Élisabeth Carecchio

Ateliers Berthier (petite salle) • 36, boulevard Berthier • 75017 Paris

Site du théâtre : www.theatre-odeon.eu

Du 4 au 30 avril 2014, du mardi au samedi à 20 heures

Durée : 1 h 10

30 € | 6 €

Tournée :

  • Le 13 mai 2014 : Théâtre en Dracénie, Draguignan
  • Le 16 mai 2014 : Théâtre de l’Olivier, Istres

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