« Ursule », de Howard Barker, Odéon‐Théâtre de l’Europe à Paris

Ursule © Agnès Mellon

Que faire de l’ennui ?

Par Élise Noiraud
Les Trois Coups

Embêtée, mal à mon aise, je me mêle à la foule qui sort du Théâtre de l’Odéon ce vendredi soir. Je cherche les mots capables de résumer mon ressenti après la représentation d’« Ursule », à laquelle je viens d’assister dans le cadre du festival Impatience, que le théâtre dédie aux jeunes compagnies. Ces mots, je peine à les trouver. Ou à les assumer ? C’était très beau, mais… C’était très bien joué, mais… C’était un plaisir de découvrir ce texte, mais… « Mais ». Je me suis ennuyée. Voilà. Profondément ennuyée. Mon envie d’encourager, d’accompagner, d’approfondir est telle que je ne peux pourtant me résoudre à ce simple constat. Je m’interroge, donc. Et la question s’impose, incontournable : l’ennui met-il un terme à la rencontre théâtrale ?

J’étais ravie, ce soir-là, de me rendre à l’Odéon, pour voir le spectacle d’une jeune compagnie, Ursule. La pièce de Howard Barker, récemment traduite par Mike Sens, est inspirée de la légende de sainte Ursule. Demandée en mariage par un prince païen alors qu’elle désire demeurer vierge et chrétienne, Ursule fuit avec d’autres vierges à bord d’un bateau avant d’échouer sur les bords du Rhin, où elles seront capturées puis massacrées par les Huns. Barker crée, à partir de la légende des onze mille vierges martyres, une pièce, inspirée d’un tableau de Cranach, qui pose de nombreuses questions sur la foi, l’amour, la sexualité, l’engagement, la virginité, le désir.

La première chose qui s’est imposée à moi, durant toute cette pièce, c’est son impeccable beauté visuelle. Une beauté presque picturale. Plus que des scènes, ce sont des tableaux. Plus que des comédiens, ce sont des couleurs. Des huiles aux tons profonds, nuancés, des rouges, des blancs, des ébènes. Plus que des lumières, ce sont des clairs-obscurs. Je ne suis plus devant la scène de l’Odéon, je suis à Rome, dans une église sombre, devant un Caravage. Des rais de lumière traversent le plateau comme ils traverseraient de lourds vitraux pour me dévoiler des toiles magnifiques, où la peau comme l’étoffe s’offrent à un pinceau virtuose.

Mais le tableau le plus parfait résiste difficilement à deux heures quarante d’observation immobile. Encore moins quand on est venu au théâtre, et non au musée. Le plateau réclame la vie, le souffle, l’élan, l’échange. Le plateau ne peut pas ne pas happer le spectateur. Ne pas l’inviter. Il n’en a pas le droit. C’est une nécessité impérieuse, supérieure, vitale. Dans ce moment magique de la représentation, « quelque chose » doit se lier, se tendre, s’établir entre la scène et la salle. Même maladroitement. Même furtivement. Sans cela, l’ennui, mortel, s’empare du spectateur et lui mord les fesses avant de lui monter au cerveau. Et, alors, il est déjà trop tard. Impuissante, j’assiste donc lentement mais sûrement au départ mal assumé d’une bonne quinzaine de personnes autour de moi. J’en suis triste et cherche à comprendre les raisons de ce rendez-vous manqué.

L’ami qui m’accompagne ce soir me confie en sortant qu’il s’est ennuyé profondément, mais qu’il se dit que c’est sûrement de sa faute. Pas assez cultivé, manque de maîtrise des codes théâtraux, pas assez lu, pas assez vu. Je me dis tout d’abord qu’il est bon qu’une œuvre invite à l’investigation, à la lecture, à l’approfondissement, que les questions qu’elle fait naître guident vers à une envie d’en savoir plus. Mais je comprends ensuite que l’ennui de mon ami, loin de le révolter, le fait douter de sa légitimité de spectateur face à un certain théâtre, élitiste, intellectuel, de recherche. Et je me dis qu’il est urgent de trouver un théâtre pour tous, ouvert à tous et élitiste, populaire et exigeant. Un théâtre simple et foisonnant en même temps, qui recherche dans des formes artistiques complexes la nécessité d’inviter le plus grand nombre. Un théâtre qui permette de réconcilier la question essentielle du « pour quoi ? » faisons-nous du théâtre avec celle, peut-être plus essentielle encore du « pour qui ? ». 

Élise Noiraud


Ursule, de Howard Barker

Traduction de Mike Sens

Cie Sambre • B.P. 15 • avenue du Mesnil • 95471 Fosses cedex

Mise en scène : Nathalie Garraud et Olivier Saccomano

Avec : Heidi Becker Babel, Julien Bonnet, Laurence Claoué, Virginie Colemyn, Hugo Dillon, Valérie Diorne, Mitsou Doudeau, Rama Grinberg, Conchita Paz, Aurélie Pitrat ou Clara Guipont

Assistant à la mise en scène : Omar Abi Azar

Scénographie : Jean‑François Garraud

Création costumes : Sarah Leterrier, assistée de Sabrina Noiraux

Création lumières : Erika Sauerbronn

Création son : Philippe Gorge

Assistants : Élie Chapus et Pierrick Bonjean

Autres membres du groupe de recherche : Félix Jousserand, Valérie Mitteaux, Anna Pitoun

Photo : © Agnès Mellon

Théâtre de l’Odéon • place de l’Odéon • 75006 Paris

Réservations : 01 44 85 40 40

Le 15 et le 16 mai 2009 à 20 heures

Durée : 2 h 40

15 € | 10 € | 8 € | 5 €

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