« V & A [Vénus et Adonis] », de Pierre Kuentz, centre Charlie‑Chaplin à Vaulx‑en‑Velin

Vénus et Adonis © Thibault Maurel de Maillé

Sans jamais poser ni peser

Par Trina Mounier
Les Trois Coups

Un long poème composé par Pierre Kuentz à partir d’éclats de textes disparates, c’est ce qu’ont très joliment mis en scène Les Indiens de Charly Marty.

Au départ, la passion violente de Vénus, déesse de la Beauté, pour Adonis, jeune humain chasseur de bétail. Objet d’une pièce en vers de Shakespeare, lequel s’inspira des Métamorphoses d’Ovide. V & A remonte donc aux sources mythologiques comme une cascade inversée, empruntant à chaque époque. Et nous restitue en un kaléidoscope impressionniste une foule d’images, de sensations enfouies dans notre mémoire. Dans l’adaptation signée par Pierre Kuentz et Charly Marty, l’écrit n’est d’ailleurs pas premier, ni même central : les tableaux qui se succèdent sur le plateau évoquent pêle-mêle le Printemps de Botticelli ou certaines œuvres symbolistes de Maurice Denis. Léopoldine Hummel, Pauline Huruguen, Charlotte Ligneau et Anaïs Mazan, comme autant de figures d’Aphrodite, évoluent dans des rondes, des danses de cour ou des cavalcades qui expriment tour à tour la fougue de la jeunesse, les codes de la séduction et la sauvagerie du désir amoureux. Et elles chantent à voix nue aussi bien des airs d’opéra de Purcell que I Put a Spell on You (dans une version inédite formidable), se mettent au piano pour un impromptu de Schubert ou à la batterie… C’est dire que V & A a tout d’une promenade dans notre culture intime, sans jamais poser ni peser.

Mythologies de l’érotisme

Sur scène, les quatre jeunes comédiennes en robe longue légère et couronne de fleurs disent les fièvres amoureuses, les manifestations du désir (Ovide n’était pas avare de métaphores extrêmement explicites). Leurs visages et la tension qui anime leurs corps indiquent le trouble, la puissance des émotions, les plaisirs si intenses qu’ils approchent la douleur. Rarement un spectacle atteint, l’air de ne pas y toucher, avec un semblable mélange de pudeur et de précision, un tel degré d’érotisme…

Adonis, pauvre mortel un peu balourd, que campe avec subtilité Charles‑Antoine Sanchez, résiste devant les dangers de cet étrange déferlement féminin ; il préfère la compagnie des sangliers, plus familiers. Et voici que nous nous trouvons au creux d’une forêt avec la Dame à la licorne et les émois de l’amour courtois ou le Songe d’une nuit d’été. Il finira bien entendu par céder : comment refuser son corps à une déesse qui en est assoiffée, prête à toutes les ruses pour le faire tomber à ses pieds ?

C’est encore l’occasion d’un bestiaire qui complète l’impression de luxuriance d’une nature en pleine liberté, malgré la sobriété d’un décor réduit à un canapé surmonté de branchages d’une part, à un piano et une batterie d’autre part. Sans doute convient-il d’ajouter l’importance de l’eau, élément fondateur pour Vénus, née des testicules châtrés de son père jetés à la mer et souvent nommée Vénus Pélagie (du grec pelagos, « pleine mer »). Une vidéo met en scène les ébats des jeunes gens dans les vagues, comme en un lieu de renaissance…

Beaucoup de moments à la fois savoureux, drôles (notamment autour des reculades du jeune homme plus inquiet des flèches de Cupidon que des défenses de sanglier, dont il périra pourtant), d’autres brillants, d’autres enfin si esthétiquement réussis qu’ils vous étreignent l’âme. Le jeu des comédiens, leur aptitude à danser et chanter, les chorégraphies, la composition et le mixage des éléments, tout cela prouve un beau degré d’exigence. Un seul bémol cependant concernant certains enchaînements entre les scènes, un peu maladroits, un peu trop appuyés (particulièrement lors de la séquence vidéo), comme si s’introduisait entre elles un instant de vacuité qui nous laisse désemparés. Péché de jeunesse d’un spectacle qui ne demande qu’à grandir ? 

Trina Mounier


V & A [Vénus et Adonis], de Pierre Kuentz, d’après Ovide, Shakespeare, Giambattista Marino, La Fontaine et quelques autres

Mise en scène : Charly Marty

Assistante à la mise en scène : Élodie Guibert

Avec : Léopoldine Hummel, Pauline Huruguen, Charlotte Ligneau, Anaïs Mazan, Charles‑Antoine Sanchez

Costumes : Quentin Gibelin

Créateur son : Mathieu Plantevin

Créateur lumière : Gaspard Charreton

Vidéo : Simon Gras

Visuel : © Thibault Maurel de Maillé

Centre culturel Charlie-Chaplin • place de la Nation • 69120 Vaulx‑en‑Velin

Réservations : 04 72 04 81 81

www.centrecharliechaplin.com

Le 4 décembre 2014, à 19 h 30

Durée : 1 h 30

Représentation le vendredi 6 février 2015 à 20 h 30 à l’espace Montgolfier (Annonay)

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