« Variations énigmatiques », d’Éric‐Emmanuel Schmitt, festival Théâtre in situ, fort de la Bayarde à Carqueiranne

Variations énigmatiques © D.R.

Un Schmitt qui fait pschitt

Par Aurélie Plaut
Les Trois Coups

« Variations énigmatiques » d’Éric‑Emmanuel Schmitt propose de s’interroger sur la figure de l’être aimé que tout un chacun construit au fil d’une relation. Un mélodrame qui n’échappe pas à la caricature et que la mise en scène de Gilles Droulez peine à sauver.

Depuis quinze ans, le festival Théâtre in situ offre aux Varois la possibilité de découvrir des spectacles de qualité dans un endroit féerique surplombant la mer : le fort de la Bayarde. Le thème de l’édition 2014 – « Faux mensonges et presque vérités » – réunit des pièces de théâtre aussi différentes que Lorenzaccio d’Alfred de Musset (mise en scène de Francis Huster) et Variations énigmatiques d’Éric‑Emmanuel Schmitt, proposé par la compagnie Les Affamés (mise en scène de Gilles Droulez).

L’intrigue est simple : un misanthrope, Abel Znorko (Gilles Droulez), vit esseulé sur une île norvégienne dont il est le seul habitant. Prix Nobel de Littérature, il est brillant et admiré de tous, mais son orgueil et sa prétention finissent de l’isoler du reste du monde. Un journaliste – Erik Larsen (François Tantot) – sollicite une interview à l’occasion de la sortie du nouveau roman de l’écrivain, un roman épistolaire qui donne à lire la correspondance amoureuse entre un homme et une femme. Pour des raisons qu’on ignore, l’écrivain accepte l’entrevue. S’ensuit alors une discussion durant laquelle les deux personnages testent les limites du mensonge. Réussiront‑ils à garder leur masque ou la vérité éclatera-t‑elle, donnant au public les clés de lecture de l’histoire ?

Le texte d’Éric‑Emmanuel Schmitt pourrait entraîner le spectateur dans des questionnements psychanalytiques plutôt intéressants : qui est réellement celui qu’on aime ? L’être social réel, vrai, ou plutôt l’être qu’on s’invente inconsciemment par amour ? Malheureusement, le déroulement de l’intrigue est cousu de fil blanc. On peut presque prévoir chaque retournement de situation. Par ailleurs, les deux personnages sont caricaturaux : l’écrivain acariâtre lance un « je hais l’amour » qui n’étonne guère et le journaliste, quant à lui, pousse son interlocuteur dans ses derniers retranchements jusqu’à lui extirper la vérité avec une facilité déconcertante. Les recettes du mélodrame sont bien présentes, mais peut-être que l’auteur en fait trop. Les bons mots ne suffisent pas à empêcher le soufflet de retomber.

Quelques interrogations

La mise en scène de Gilles Droulez suscite aussi quelques interrogations. Pourquoi avoir choisi de disposer sur le plateau deux fauteuils, une table basse, un portemanteau et une cheminée ? Pour le réalisme ? On le regrette vivement. Pas de place au rêve, donc : le spectateur se retrouve invité dans un salon tristement banal. Alors, oui, la simplicité a parfois du bon. Elle permet justement à chacun de se reconnaître, de s’identifier aux personnages. Et puis elle donne souvent l’occasion de mettre l’accent sur le jeu théâtral. Ici, rien de tout cela. Même les déplacements des comédiens paraissent parfois inutiles – en effet, pourquoi traverser tout l’espace scénique et revenir ensuite sur ses pas pour quitter le plateau ? Dans le seul but d’inventer un couloir « à vue » ? On ne peut que douter de la portée (symbolique ?) de ce choix de mise en scène.

L’interprétation de Gilles Droulez (Znorko) montre néanmoins des qualités : l’écrivain « puant » est bien interprété. L’air méprisant et le ton ironique du personnage font sourire. Malgré tout, la nuance n’est pas au rendez-vous. Il ne réussit pas à entraîner le public dans sa surprise et son désarroi lors des retournements de situation qui se répètent inlassablement. Pourtant, Znorko vit une tragédie personnelle. Il aurait pu se révéler touchant et susciter l’empathie du public. Mais sans doute est‑il difficile de se diriger soi-même… François Tantot (Erik Larsen), quant à lui, n’est pas assez machiavélique. On aurait aimé qu’il fût plus pervers. Alors, c’est vrai, la fin de l’histoire nous amène à nous interroger sur la nature du sentiment que le journaliste éprouve pour son « rival ». Mais, justement, la chute éclaterait d’autant mieux si le jeu des comédiens allait crescendo… Ici, point d’acmé, point de « variations » mais une constante : le choix d’une voie rectiligne. Rien ne décolle vraiment. On finit alors par bâiller et par observer le spectacle des éclairs qui illuminent les monts alentours… 

Aurélie Plaut


Variations énigmatiques, d’Éric‑Emmanuel Schmitt

Cie Les Affamés (Lyon)

Contact : 06 73 34 41 51

Mise en scène : Gilles Droulez

Avec : Gilles Droulez, François Tantot

Création lumière : Romuald Valentin

Photo : © D.R.

Festival Théâtre in situ / fort de la Bayarde • 83320 Carqueiranne

Réservations : 04 94 01 40 26 / 04 94 01 40 46

Samedi 2 août 2014, à 21 h 30

Durée : 1 h 20

30 € | 27 € | 15 € | 12 €

Gratuit pour enfant de moins de 8 ans

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