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« Verso Medea », d’Emma Dante d’après Euripide, Théâtre des Bouffes‑du‑Nord à Paris

« Verso Medea » © D.R.

Vice versa

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Avec « Verso Medea », Emma Dante présente au Théâtre des Bouffes-du-Nord une adaptation de « Médée » bien peu convaincante.

Inspirée par la tragédie grecque d’Euripide, Emma Dante, considérée comme une des plus importantes personnalités du théâtre d’avant-garde en Italie, livre un voyage autour de la figure de Médée. Comme son titre l’indique (Vers Médée), l’adaptation se recentre sur l’essentiel, ce qui est une gageure en soi. Mais la poésie passe à la trappe, et l’on s’ennuie presque, tant les enjeux perdent de leur complexité.

Connue pour défendre les conditions de la femme, Emma Dante s’est concentrée sur la quête de liberté de cette princesse bannie de sa patrie pour avoir aidé son amant à conquérir la Toison d’or. Elle présente alors la femme de Jason comme la victime d’un coureur de jupons ridicule, pour qui elle a pourtant tout quitté, y compris sa famille. Ce sont des comédiens qui jouent les conjointes du traître. Vice versa ! Dans leurs robes noires, ils sont alignés en rang d’oignons, comme dans le Sorelle Macaluso et se défoulent. La belle brochette de sœurs, transformées en pleureuses, résiste toujours au machisme, mais fait, cette fois-ci, office de chœur. Sauf que l’on en oublie justement la tragédie, avec ces savoureuses saillies verbales ! L’enfantement est même traité en pantomime.

Guerre des sexes

Dans un pays habité uniquement par un peuple masculin, impropre à développer la semence, la fertilité luxuriante de Médée est d’autant plus dévastatrice qu’elle seule a cette capacité innée de perpétuer l’espèce. Or, elle va répandre la mort en commettant, entre autres, l’infanticide. Malgré tout, le parti pris burlesque prend trop souvent le pas sur le tragique et le mythe perd de sa puissance, de sa cruauté aussi.

« Elle est une barbare qui ne reconnaît pas d’autre autorité que celle de ses propres instincts. »

Surtout, l’interprétation peine à convaincre. Elena Borgogni bout, éructe, gesticule. Pourquoi faire jouer sur le mode hystérique cette Médée qu’Emma Dante a certes voulue sauvage, pieds nus et cheveux déliés ? « Elle est une barbare qui ne reconnaît pas d’autre autorité que celle de ses propres instincts », explique la metteuse en scène. De là à en faire une enragée ! Médée est plutôt un monstre aux mille nuances, non ? Pour incarner la petite-fille du Soleil experte en maléfices, la comédienne crie sans faire résonner la parole de Médée. Elle s’agite comme les flammes du monde chtonien pour dompter Jason, mais ses brûlures nous laissent de glace. Elle enchaîne ses répliques dans un seul souffle sans jamais cesser de se caresser le ventre. Enceinte jusqu’aux yeux et exilée, la mère maudite, odieuse, est bien solitaire, et pourtant, à aucun moment elle ne nous entraîne, avec elle, dans cette vertigineuse descente aux enfers. Pire : on ne sent ni l’amour ni la haine !

Les deux frères Mancuso se tiennent sur le côté avec leurs instruments de musique traditionnels pour ponctuer le spectacle par leur interprétation personnelle du répertoire antique. Eux portent la pratique polyvocale sicilienne. Leurs chants entêtants emplissent l’espace mieux que tout le reste. Quoi qu’il en soit, Verso Medea ne peut reposer sur leurs seules épaules. Dommage, celui-ci aurait mérité un meilleur accouchement. 

Léna Martinelli


Verso Medea, d’Emma Dante d’après Euripide

Mise en scène : Emma Dante

Avec : Elena Borgogni (Médée), Carmine Maringola (Giasone, Mariarca), Salvatore D’Onofrio (Créonte, Giuseppina), Sandro Maria Campagna (Messaggero Caterina), Roberto Galbo (Rosetta), Davide Celona (Mimma)

Musique et chant : les frères Mancuso

Lumières : Marcello D’Agostino

Photo : © D.R.

Production : Sud Costa Occidentale • Palerme (Italie)

Site : http://www.emmadante.com/sud-costa-occidentale/

Théâtre des Bouffes-du-Nord • 37 bis, boulevard de la Chapelle • 75010 Paris

Réservations : 01 46 07 34 50

Site du théâtre : www.bouffesdunord.com

Du 10 au 28 mai 2016, du mardi au samedi à 20 h 30, samedi à 15 h 30

Durée : 1 heure environ

Spectacle-concert en italien, surtitré en français

28 € | 23 € | 16 €

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